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De la réalité d’une crise des commerces gais (Partie I)

Depuis quelques mois en ne peut ouvrir un magazine gay, participer à un dîner ou même regarder la presse généraliste sans que l’on nous annonce que les commerces identitaires sont moribonds et que l’activité des entreprises gaies est au plus mal.

Quid de cette sinistrose du commerce LGBT, ses causes annoncées, légitimes ou non (I), et quels sont les éléments temporisant cette vague de pessimisme et les pistes pour y remédier (II) ?

De l’existence d’une crise annoncée. A écouter les représentants d’établissements gais «tout le monde pleure» et le commerce gai «va mal». Cette crise, marquée par la fermeture d’établissements gais ainsi que par la diminution des chiffres d’affaires de la plupart des commerces traditionnels LGBT est bien réelle.

Pour autant peut-on parler d’une crise propre aux entreprises gaies ? D’une crise identitaire, sectorielle ou conjoncturelle ? Cette crise cache-t-elle l’apparition, l’essor et la bonne santé d’autres entreprises gaies sortant du triptyque historique café-resto-cruising ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés rencontrées par les établissements gais traditionnels. Une crise conjoncturelle et sectorielle existe et n’est pas propre aux commerces gais. Le secteur cafetier, de la restauration et des établissements de nuit est l’un des plus concurrentiels, qu’il s’agisse d’établissements identitaires ou généralistes et tous sont en crise.

Des facteurs conjoncturels donc, et l’on ne fait qu’ouvrir des portes ouvertes en les énumérant. Alors ouvrons les encore : si la consommation reste globalement forte en France, le taux de chômage reste important, la baisse du pouvoir d’achat et la hausse des charges essentielles (logement, essence…) frappent tout le monde, indépendamment de l’orientation sexuelle ou non. Les premiers postes budgétaires à pâtir de cette conjoncture sont ceux non essentiels. De plus, de nouvelles charges grèvent le pouvoir d’achat global des ménages, homosexuels ou non : abonnements téléphoniques, forfaits Internet, télévision payante etc

Des facteurs concurrentiels existent également. Pour Paris, le secteur est l’un des plus concurrentiels avec nombre de bars et cruisings identitaires. La clientèle gaie est faiblement élastique et le nombre croissant d’établissements conduit inévitablement à un seuil de saturation, l’équilibre sectoriel se faisant par la disparition des acteurs les plus fragiles.

De plus, la concurrence ne s’effectue plus uniquement entre entreprises gaies. Des facteurs socioculturels ne doivent pas être méconnus. Une plus grande visibilité de la communauté LBGT, la prise en compte de la réalité et des spécificités d’une clientèle gaie, comme un meilleur accueil global de cette clientèle dans les établissements généralistes font que ces derniers concurrencent directement des commerces qui s’assuraient, sous couvert d’une image identitaire, une clientèle captive. La volatilité de la clientèle gaie est une donnée désormais acquise. Des sociétés non identitaires n’hésitent plus à créer des thématiques LGBT et à packager des offres ciblées tout comme les grandes marques et annonceurs ne sont plus frileux pour s’adresser directement à une clientèle homosexuelle voire de créer des produits et services dédiés.

Nos propos pourraient s’arrêter là et faire du seul constat de la mauvaise santé annoncée d’un secteur, ou tout du moins de quelques acteurs visibles, le diagnostic et l’annonce d’une fin de vie d’un secteur entier. Pour autant il n’en est rien. Il ne suffit pas d’avancer des seules données quantitatives (nombre d’établissements gais, nombre de fermetures, comparatif de chiffres d’affaires…), partielles de surcroît, pour conclure à une crise.

Les causes sont plus diffuses, souvent moins palpables que des données objectives chiffrées…


Des causes de déclin de commerces communautaires traditionnels. La critique est un art facile, un sport national et souvent un trait commun chez les gays. Pour autant, on ne peut y échapper et cela ne doit de toute façon ni conduire à des généralités ni conduire à des amalgames sur tout un secteur. Quoi qu’il en soit, quelles sont les oppositions faites aux commerces traditionnels LBGT et qui conduisent une partie de la clientèle à se détourner ou bouder des établissements jusqu’alors plébiscités ?

C’est bien sur des éléments qualitatifs et non plus seulement quantitatifs que notre réflexion et notre analyse doivent se porter. S’il ne suffit plus d’afficher un rainbow flag en vitrine et mettre un vendeur ou serveur au physique avantageux pour s’assurer une clientèle, il convient de se rappeler des fondamentaux qui jusqu’alors étaient minorés : qualité, service, propreté, attractivité tarifaire, innovation.

Qui n’a jamais payé un coca éventé servi par une dinde en H&M, au regard méprisant et sourire disparu, pour qui «bonjour», «s’il vous plait», «merci» et «au revoir» sont des mots inconnus ? Le tout amplifié si vous dépassez trente ans, cumulez une surcharge pondérale et une garde-robe quia plus de six mois.

Mais encore, si les commerces gais s’affirmaient comme des lieux essentiels de sociabilité LGBT, la réunion en des mêmes lieux de gays et lesbiennes ne suffit plus à assurer le succès d’un établissement ou d’un commerce. La clientèle homosexuelle devient légitimement exigeante et c’est l’art du professionnel de devenir non plus un simple offreur d’espace commun ou un vendeur de produits ciblés mais de tendre vers l’animation de son établissement, de le rendre convivial et attractif, et d’assurer un conseil dans sa prestation de vente ou de service.

A défaut, et parce que la nature a horreur du vide, la clientèle elle-même s’approprie la faculté d’opérer cette prestation, à moindre coût de surcroît, ou alors se tourne vers les commerces généralistes. Le commerce devient globalement asexué et sexuellement non connoté. Quand des marques et produits à succès chez la clientèle gaie n’étaient proposés à la vente que dans des boutiques identitaires, ces mêmes marques ou produits se retrouvent désormais dans les corners des grands magasins et en moins de temps que cela ne l’était auparavant. Les commerces gais fonctionnaient quand la clientèle ne pouvait y trouver ailleurs ce qu’elle y recherchait. Le caractère prescripteur de la clientèle gaie est de moins en moins réel tout comme le coté précurseur de tendance ne se vérifie plus. Egalement, le succès des soirées privées ou «entres amis» et celui des services de dialogues en lignes ne sont qu’une illustration de ce phénomène et non une cause de la crise des commerces identitaires. Bien avant Internet, les gays et lesbiennes avaient déjà la faculté de bouder bars et restaus au profit de leurs appartements tout comme la télématique et l’audiotel étaient des vecteurs importants de rencontres, pour autant ils plébiscitaient encore cafés, boîtes de nuit, saunas, cruising.

Les prestations des commerces traditionnels LGBT ne peuvent plus se limiter au seul remplissage d’un verre, à faire tourner un vinyle de Madonna sur une platine ou à tendre une capote à l’entrée d’un sex club. C’est bien parce que la clientèle attend une valeur ajoutée substantielle qu’elle soumet dorénavant son adhésion à un établissement à de nouvelles prestations en sus du respect des fondamentaux.

Pour preuve, des succès concernant de nouveaux établissements traditionnels existent, ceux-là même qui ont su prendre en compte ces nouvelles attentes : Sun city, Gym Louvre, Oh Fada bar, Next, Raid Bar et nous en oublions certainement, mea culpa. Ces commerces ne font pourtant pas partie d’Internet, accusé de circonstance de tous les maux du commerce gai, mais ont su anticiper les attentes nouvelles de la clientèle, répondre en chaque point aux critères qualitatifs de leurs professions, être innovants en matière de concept, user des techniques marketing et ont su communiquer avec des moyens modernes. Le bouche-à-oreille et un emplacement dans le Marais ne suffisent plus à attirer le chaland.

C’est donc bien une mutation que les entreprises gaies connaissent et non une crise globale. Et il est vrai, certaines entreprises gaies subissent cette mutation, d’autres en bénéficient…

Partie II : De la réalité d’une mutation des entreprises gaies et des éléments de renouveau de l’entreprenariat communautaire.

La version intégrale : Ici




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