in

Roisin Murphy : Ce qui me rapproche de mon public gay ? Le Disco !

Je n’ai pas de souvenirs d’interviews pluvieuses, comme si chacune d’entre elles était préservée pour que les meilleures conditions soient réunies, et que l’entrevue soit encore plus agréable que la précédente. C’est donc d’un pas relativement décontracté, et sous les rayons de lumières matinaux, que je me rends sur les lieux de mon nouveau rendez-vous, fredonnant dans ma tête, l’impérissable Sing It Back, qui nous avait fait toutes et tous danser il y a déjà presque 10 ans puisque c’était en 1999. Je dois rencontrer Roisin Murphy (prononcez Roychin’), splendide irlandaise blonde à la voix de black, à la fois puissante, jazzy, soul, house et funky. Son album Overpowered qui vient de sortir est une pure merveille pour les dance-floors, et je suis quasiment sûr qu’iil s’agit de celui qui va marquer sa véritable consécration en tant qu’artiste solo en France. De loin elle m’adresse un petit sourire mutin et me fait signe de venir m’asseoir à ses côtés. Autant dire que je ne me fais pas prier …

Tof : Hello Roisin, merci de me recevoir ! Ton album est une vraie bombe et c’est donc un plaisir de pouvoir en parler avec toi ! Je ne suis sûrement pas le seul à te connaître d’abord au travers de ton ancien groupe Moloko, que tu formais avec ton ex Mark Brydon. Je me demandais si cela ne te fatigue pas d’être sans cesse présentée comme « la fille de Moloko » .
Roisin Murphy :
[Rires] Oh mais tu ne crois pas si bien dire ! Je ne sais pas ce qu’ils ont mis sur les affiches ici en France, mais ce que j’ai vu hier en Allemagne m’a un petit peu énervé en effet. Tu sais, moi je suis très attentive à l’imagerie, aux photos, et aux livrets qui vont avec le cd. Dans mes images il y a toujours beaucoup de couleurs très lumineuses, de belles polices de caractère pour le nom de la chanson ou de l’album. Bref c’est très important car c’est une sorte d’écho au concept du contenu même de l’album quoi ! On choisit de beaux vêtements, on se met en scène dans de belles situations, c’est beaucoup de travail . Et bien en Allemagne, ils ont complètement zappé tout ça et je me retrouve avec des affiches qui signalent en gros : « chanteuse de Moloko » ! [Rires] Le truc c’est que je pense avoir maintenant une musique suffisamment forte et qui a vraiment gagné progressivement le public. C’est complètement absurde parce que mes fans se composent d’un côté des personnes qui me connaissent depuis l’époque de Moloko et qui n’ont donc pas besoin qu’on leur rappelle que je faisais partie de ce groupe, et de l’autre il y a le nouveau public, qui lui se fout de savoir ce que je faisais avant [Rires !]. Non vraiment cette période est loin maintenant tu sais. Aujourd’hui j’ai besoin d’évoluer avec mes propres vidéos, mes propres performances, et mes propres disques !


Tof : [Rires] Que voulais-tu exprimer avec ce nouvel album ? Quel son voulais-tu lui donner ?
Roisin Murphy :
Le disco ! En fait j’ai voulu livrer le plus pur disco qu’il m’était possible de faire. Il faut dire qu’avec ce disque j’ai vraiment eu l’opportunité de dire ce que je voulais faire, et on le faisait ! C’était très différent du premier album Ruby Blue, très expérimental, et où je n’avais qu’un seul complice : Matthew Herbert. Cette fois-ci avant de commencer j’avais envie qu’on retrouve mes références dans ma musique. J’ai compilé des tas de chansons de la fin des années 70 et des années 80, en passant par les débuts de la House music, parce que pour moi c’est en quelque sorte aussi du disco, à partir du moment où cette musique fait danser et qu’elle est émotionnellement complexe. Enfin bref, tout ça m’a bien changé de ma collaboration avec Matt, qui était plus « Drum & Bass » !

Tof : Cet album sonne très positif. Est-ce que c’est parce que tu es comme cela dans la vie ou plutôt parce tu as voulu qu’il donne envie d’être positif à l’auditeur, en toutes situations ?
Roisin Murphy :
Huuum, je vois ce que tu veux dire mais justement je ne pense pas que ce soit nécessairement un album positif, plutôt un disque sur la naïveté en fait ! La naïveté est pour moi quelque chose de fascinant car c’est un état qui vous emmène ailleurs . Et puis je préfère faire la distinction parce que j’ai voulu donner une certaine fraîcheur enfantine à mes nouveaux titres. On la retrouve à la fois dans ma voix, ma façon de chanter et les paroles. A priori Overpowered a quelque chose d’assez « easy » tu ne trouves pas ?

Tof : Ok mais toi personnellement, je suppose que tu n’es pas toujours positive . Je pensais par exemple que cet album, plein de joie, pouvait être une réaction à un événement triste passé par exemple .
Roisin Murphy :
Oh oui certainement ! [Sourire] Tu sais ma créativité naît souvent du sentiment de contradiction. Par exemple, je suis assez sensible entre le côté artistique de mon activité, et le côté marketing. Ce qui est sûr c’est que je ne chante pas pour cibler un marché particulier ! [Rires] Lorsque j’ai signé à 18 ans avec un label, parce que j’avais déjà un passé artistique derrière moi, mais sans y penser. J’étais avant tout dans l’action et je ne me posais pas de questions sur ce qui m’arrivait. En fin de compte je suis arrivée dans le monde de la chanson dans un sens vraiment « arty » du terme, parce que j’appréhende réellement le travail de la musique comme du travail d’art. Après je peux me trouver embarrassée en période d’interviews. Lorsqu’il faut que je parle de mon style de vie, de ma façon de penser, d’être, de m’habiller, où de mon hôtel préféré, ça m’énerve car je trouve que tout ça va rendre les lecteurs superficiels .

Tof : J’ai noté qu’il y avait aussi une touche très House 90 dans ce nouvel opus. C’est une période que tu affectionnes ?
Roisin Murphy :
Oui ! Overpowered est à mon avis la plus pure expression de ce que j’étais dans les années 90, en dehors de Moloko. Mais attention, je me souviens que cette période était aussi très sérieuse et austère, comme tous ces groupes en « Head » : Portishead, Radiohead et j’en passe. Ca s’expliquait peut-être parce que cette période n’était pas non plus sérieuse politiquement à mon avis. Aujourd’hui ça a changé à Londres, les gens s’habillent à nouveau, recommencent à s’exprimer un peu comme dans les années 80 ou la moitié des années 80. Pour en revenir à Radiohead, je trouve ce qu’ils font extrêmement brillant bien sûr, mais j’ai aussi l’impression que le travail trop sérieux peut donner une espèce de sentiment d’artifice, quelque chose de l’ordre du masque. De la même manière que quand tu te la « joues » en disant : « Moi je m’intéresse à la mode, à la culture, et j’ai un esprit très émotionnel : donc je suis un artiste », c’est de la connerie! Pour moi ce n’est pas du « bon art ». Par contre bien sûr, sur scène c’est différent, le masque peut servir à amplifier le message.


Tof : C’est comme le message du film Velvet Goldmine ? Le héros dit que le maquillage est la façon d’exprimer la vraie réalité d’une personne .
Roisin Murphy :
Je pense que David Bowie, qui avait créé tout un personnage à ses débuts, avait une grande influence sur ce film, et honnêtement il est un des artistes que j’aurais aimé être. C’est vrai que je vois aussi le masque et le travestissement comme une plus grande expression de la vérité.

Tof : Et donc tout ça c’est un peu le sujet du clip d’Overpowered, non ?
Roisin Murphy :
Oui c’était très drôle de déambuler avec ce costume pour le moins original ! En fait le concept est signé Scott King, un artiste londonien, qui a travaillé auparavant dans la presse de mode, en tant que directeur créatif de Sleazenation et aussi directeur artistique d’i-D magazine. Il fait partie de la working class et travaille au sein du monde artistique. Je pense qu’il a vu quelque chose en moi qui lui ressemblait, surtout dans son côté très bête de travail. Il y a des gens qui disent que ce clip a un sens politique. La vérité c’est qu’il n’a en fait pas grand-chose à voir avec la confrontation entre les classes sociales, comme il en a l’air. Il a un aspect très narratif, avec un sens propre à l’intérieur de lui-même. Au fond, il parle d’une personne qui se doit d’être créative, mais qui n’en a rien à faire du monde de l’art. D’une certaine manière Scott a voulu montrer que je voulais être une vraie pop star, une vraie performeuse, mais que je reste indépendante, sans m’intéresser aux autres pop stars. Par contre je suis plus préoccupée par les personnes réelles qui ressemblent plus à ce que je suis. Cette une ambigüité qui a été mal comprise dans ma carrière et en voyant que Scott avait repéré cela chez moi cela, je me suis dit : « C’est bon, c’est exactement ce que je suis ». Ensuite je découvre que les gens voient aussi soit de la mélancolie, soit de l’humour dans cette vidéo. J’aime beaucoup l’idée que chacun puisse faire sa propre interprétation de ce qu’il voit. Ce n’est pas toujours calculé car en ce qui concerne l’imagerie, j’aime partir de rien sans me soucier de ce que les gens vont en penser. Cela donne quelque chose qu’on pourra lire avec un million de points de vue différents.

Tof : Pour moi par exemple, cela parle de la différence, ou plutôt de l’indifférence, car personne ne semble te calculer alors que tu as un costume assez voyant .
Roisin Murphy :
Oui pour moi c’est la base. Mais le sens du clip, c’est « quoique vous pensiez sur ce que je suis en train de faire, quoi que vous voyiez lorsque vous me regardez, je n’en ai rien à faire . » seulement de la manière que je sais. C’est un peu aussi la matérialisation de mon côté contradictoire, car je suis toujours à décider ou à la limite de décider, suivant mon humeur, entre « Je suis une personne de tous les jours, je suis juste comme toi, viens avec moi », ou « je suis un artiste, donc quelqu’un d’un peu spécial ». Je suis à la limite, c’est souvent ce que je ressens dans mon esprit. Entre l’artiste et la femme, je ne sais pas forcément laquelle je suis.
Tof : Est-ce que tu penses que c’est ce côté toujours un peu « borderline », qui fait que tu as un large public gay ?
Roisin Murphy :
Je ne sais pas ? Peut-être que oui. Honnêtement je n’ai aucune idée ce que les gays voient en moi. Bon j’aime me travestir comme beaucoup d’entre eux, mais peut-être qu’en fait ce qui nous rapproche est sans doute le disco puisqu’à qu’à la base c’est une musique gay ! En tout cas j’adore être en leur compagnie, et il est indéniable que la plupart des meilleurs clubs a été créée par les gays, comme le Paradise Garage d’ailleurs ! Personnellement je n’ai jamais fait quoique ce soit pour particulièrement séduire ce public. Je ne fais pas de la musique pour un public spécifique en ce qui concerne l’âge ou la préférence sexuelle.


Tof : Comment as-tu choisi l’équipe qui a travaillé avec toi sur ce nouvel album ? Comment as-tu rencontré Seije, de Bugz in the Attic ?
Roisin Murphy :
Aaaaah ! Seiji est vraiment quelqu’un de très talentueux. Il avait déjà fait le remix d’une des chansons de mon premier album Ruby Blue, et j’adore ce remix ! Avant ma signature chez EMI, c’était vraiment la première personne avec laquelle je voulais travailler. Je lui ai dit que je voulais faire un album disco, ou boogie si tu préfères. Il m’a fait quelques maquettes et on les a proposées à EMI. Ensuite Emi m’a présentée à Andy Cato. Je voulais travailler avec des américains et trouver un producteur de R’ n’B qui serait intéressé de faire du disco, histoire de voir ce que le mélange R’n’B- Disco pourrait donner. Je suis donc entrée en contact avec Jimmy Douglas, qui est en fait la personne qui a découvert Timbaland. C’est un homme plus vieux, qui a le côté tranchant de la production américaine, avec un réel background en matière de soul et de disco. Arrivée à Miami, j’ai aussi travaillé avec Ill factor, un génie complet de seulement 23 ans. Enfin je suis retournée à Sheffield, la ville de Moloko, et j’ai travaillé avec de vieux amis là-bas, Parrot et son partenaire musical Dean Homer. Nous avons écrit Cry Baby et Scarlet Ribbons, mon premier morceau lent, qu’on trouve à la fin de l’album . Ensuite ils ont fait un peu de production additionnel sur d’autres titres, notamment Movie Star.

Tof : Pourtant je pensais que Scarlet Ribbons était une reprise .
Roisin Murphy :
Non, non, en fait ma Scarlet Ribbons est une réponse à une chanson standard de 1949 : Scarlet Ribbons (For her hair). A la base c’est un père qui chante alors que sa fille s’est perdue dans la nuit. Et il part à son tour pour lui acheter un ruban, mais ne réussit pas à le trouver puisque la nuit tous les magasins sont fermés. Lorsqu’il revient, il trouve le ruban de sa fille sur le lit, arrivé là comme par magie. Ma chanson à moi parle de la petite fille qui a grandi. Cette fois elle a tout ce qu’elle désire parce que son père lui a donné tout ce dont elle avait besoin. C’est devenu une femme forte qui dit « ne t’inquiète pas pour moi je sais me débrouiller seule ».
Tof : Mais dis-moi tu pourrais être une star de ciné, parce que tu as un physique qui s’y prête tout à fait . Ne me dis pas que tu n’as jamais eu de propositions ?
Roisin Murphy :
Et bien merci c’est toujours agréable à entendre spécialement de la part d’un français, mais non je n’ai rien eu.

Tof : Qu’est-ce qui t’intéressait dans le fait de travailler avec une équipe américaine ?
Roisin Murphy :
Il n’y a pas de secret : en Amérique ils se foutent de savoir si quelque chose a déjà été fait avant ou non. Il faut juste que ce soit bon et que ça fonctionne. Au moment de l’enregistrement on entend souvent des gens s’exclamer « On fait des hits ! On fait des hits ! ». C’est un vrai leitmotiv, et ça booste réellement l’énergie que tu peux mettre dans un disque. Ca tu ne le retrouveras jamais chez un producteur anglais !


Tof : Ta signature chez EMI a-t-elle occasionné de grands changements?
Roisin Murphy :
Moins que je ne l’avais imaginé. Je n’ai pas eu à subir de pression supplémentaire si c’est ce que tu veux savoir. Avec Ruby Blue, mon premier album j’avais vraiment ressenti une tension car qu’à l’époque les gens de mon label ne m’avaient pas dit qu’ils étaient en difficulté. En étant chez EMI, on ne fait rien si on n’a pas l’argent qui suit. Tout ce qui n’était pas possible avant parce qu’il fallait beaucoup de temps et d’argent, avec tout le stress que ça engendre, c’est fini ! Je me sens aussi vraiment encouragée à développer tout ce qui est artwork, vidéos etc .

Tof : Merci de toutes ses confidences Roisin. Quels sont tes projets maintenant ?
Roisin Murphy :
Et bien le prochain single sera probablement Let Me Know, et puis je serai en concert au Nouveau Casino le 13 Novembre, je compte sur vous pour m’y retrouver !

Et bien nous serons présents pour venir t’applaudir, et transformer le Nouveau Casino en piste de danse ! Merci de ta grande gentillesse, et aussi pour cet album qui fait quasiment entrer le soleil dans la maison. Bien mieux que les anti-dépresseurs en tout cas !

C’est nouveau, maintenant la star interviewée vous fait un petit coucou, rien que pour vous :



Visite le site officiel de Roisin Murphy et son myspace

Découvre le clip déjanté de Overpowered :

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

France (La Police se met au vocabulaire LGBT) …

Interview Roisin Murphy : Ce qui me rapproche de mon public gay ? Le Disco !