in

Anahi Berneri nous parle de son film  »Un ano sin amor »

Rendez-vous dans un hôtel du quartier du Marais, où je rencontre les derniers vestiges d’une manifestation anti-cpe et manque de me gaufrer sur un trottoir, me prenant les pieds dans une chute de banderole.
Les étudiants réclament des bisous, n’est-ce pas là le témoignage du fait que nous vivons une époque sans amour ? Et je songe amusé, à la relation discrète mais présente qui existe entre l’actualité et le titre du film dont je vais parler avec la réalisatrice que je présume lesbienne.
Car enfin il faut sûrement avoir le cour bien accroché, lorsqu’on est une jeune femme, pour pousser le souci de la perfection jusqu’à se travestir en homme pour mieux afin de mieux pénétrer le bar SM, terrain de jeux favori du personnage central de « Un año sin amor ».
Que nenni, la donzelle est hétérosexuelle, mère de deux enfants, et invoque une volonté de documentation de documentation pour justifier sa démarche, allant tout de même jusqu’à immortaliser une scène de fist !
Mais ne nous trompons pas . Le sujet principal d’ « Un año sin amor » n’est les relations cuirs entre hommes, mais bien la quête sans répit de l’amour, comme thérapie de survie. Quelques précisions s’imposent non ? Voici l’interview !

Tof : Bonjour Anahi, peux-tu me dire tout d’abord ce qui t’a donné envie d’être réalisatrice. Y a-t-il eu un film ou un réalisateur en particulier ?
Anahi Berneri :
Tu sais j’ai toujours été très cinéphile. Ca a toujours été présent dans ma vie dès mon enfance, avec la télévision également. Il y a eu plusieurs déclics en fait. J’aime beaucoup Cassavets, Godard, Léos Carrax mais attention c’est toujours un peu délicat de citer des références. Ce sont des réalisateurs qui m’ont donné envie de faire des films mais je ne me compare en aucun cas à eux …

Tof : Le cinéma pour toi, doit se référer à la réalité, ou plutôt faire rêver le public ?
Anahi Berneri :
Moi j’aime le cinéma qui véhicule un message social. par dessus tout je suis fan de portraits, de journaux intimes et de biographies. Ce film est d’ailleurs basé sur un journal intime. Ce qui m’a plu dans ce film c’est à la fois aborder la réalité et la fiction, puisqu’il s’agit d’une auto-fiction.

Tof : En tant que femme et au niveau personnel qu’est-ce qui t’a intéressé dans cette histoire ?
Anahi Berneri :
La volonté de vivre, qui est très forte chez le personnage central. et la liberté sexuelle qui rejoint la liberté mentale. Pablo est physiquement atteint par la maladie, mais au delà de cela il n’est pas affecté . Au travers de sa découverte de l’univers SM, il retrouve une certaine liberté dont la maladie le prive.

Tof : Ce qui est surprenant c’est de voir qu’une jeune fille s’intéresse à ce genre d’histoire …
Anahi Berneri :
En fait j’ai rencontré Pablo Perez, l’auteur de Un ano sin amor en l’interviewant, alors que je produisais une émission de télévision intitulée « Magazine Gay ». J’ai tout de suite été fascinée par son histoire, pleine de vie en fait. J’ai voulu apporter ma vision du femme sur son monde.

Tof : Justement, en quoi le film aurait été différent si il avait été réalisé par un homme ?
Anahi Berneri :
Il était déjà probablement plus facile d’approcher Pablo, en ayant cette sensibilité féminine. Lui-même a un côté abordable, très humain, avec probablement une sensibilité féminine également, en dehors de tout ce qu’il peut vivre. Il aime bien d’ailleurs dire que nous avons tous les deux en commun le fait d’aimer les hommes.

Tof : Bon je pensais qu’être lesbienne pouvait aider pour ce genre de sujet et apparemment je me suis planté … ?
Anahi Berneri :
Et bien oui, je ne suis pas lesbienne. J’ai deux enfants et d’ailleurs j’étais enceinte pendant le tournage …

Tof : Vraiment ? Mais comment ça s’est passé, j’ai lu par exemple que tu avais dû te déguiser en homme pour pénétrer dans les clubs SM que fréquente Pablo …
Anahi Berneri :
Le tournage n’a duré que trois mois, ça ne se voyait pas …

Tof : C’était vraiment nécessaire d’aller dans ce club SM, j’imagine que c’était éprouvant la première fois ?
Anahi Berneri :
Oui au début j’ai été assez choquée. C’est assez déroutant de se retrouver dans une salle où se trouve une trentaine de personnes qui ont des relations sexuelles, surtout quand ce sont des hommes. Mais petit à petit ma perception de ce cercle restreint a changé et on peut dire qu’il a fini par exercer une sorte de fascination sur moi, que j’ai voulu montrer dans le film.

Tof : C’était un peu Fear Factor [éclat de rire collégial]

Tof : N’y avait-il pas aussi une volonté d’informer sur ce milieu particulier et quelque part de montrer que le SM était une forme poussée de romantisme ?
Anahi Berneri :
C’est vrai qu’il était important d’informer là-dessus, surtout à Buenos Aires car ce milieu est très fermé, pas comme en Europe ou à Paris. Il y a effectivement cette notion de romantisme, mais en même temps j’ai trouvé intéressant de montrer un certain parallélisme entre les outils utilisés dans le monde SM et les outils du monde hospitalier.
Il y a une métaphore entre la souffrance que Pablo subit dans la vie de tous les jours, et celle qu’il s’inflige dans le monde SM, pour se sentir fort, et que pour le coup il maîtrise…
C’est une façon de se sentir protégé, et de reprendre possession de son corps. Le SM est alors une façon d’exorciser ses peurs, de s’oublier et d’exister à la fois…

Tof : Le héros semble vouloir repousser l’échéance de la prise de médicaments et il annonce même que des amis sont morts d’avoir pris de l’AZT. C’est une chose qui m’a surpris car l’AZT est pourtant un des premiers médicaments à avoir eu des résultats bénéfiques sur le traitement du VIH non ?
Anahi Berneri :
L’AZT ne fonctionnait pas à cette période (1996). On ne savait pas comment l’administrer. On pouvait prendre trop ou pas assez de traitement, avec tous les effets secondaires que ça incluaient. Du coup on prenait des cocktails de drogues. Et du coup l’AZT pouvait effectivement être très dangereux.

Tof : Est-ce que tu t’es censurée en ce qui concerne les scènes tournées dans ce bar SM ? Parce qu’on pourrait s’attendre à y voir des relations non protégées ou de la consommation de drogue par exemple …
Anahi Berneri :
A part la consommation de poppers et de majijuana, je n’ai rien vu. On voit qu’on utilise des gants aussi pour certaines pratiques. Mais je ne souhaitais pas appuyer là-dessus, ce n’était pas non plus le sujet.

Tof : Tu dis t’être attachée à montrer une image érotique de ces endroits là plutôt qu’une image choquante … Il y a tout de même une scène de fist …
Anahi Berneri :
C’est une image très rapide mais c’est vrai qu’elle marque les esprits.


Tof : Quel accueil a eu le film à sa sortie en Argentine ?
Anahi Berneri :
En fait il est sorti en mars de l’année dernière, et pour le film que c’est, c’est à dire pas un film commercial et réservé à un certain public, on a eu de très bonnes critiques et le film a eu un très bon succès. Il a d’ailleurs été plusieurs fois récompensé (Meilleur film au Teddy Award 2005, grand prix Out Fest Los Angeles 2005, prix de la critique Internationale Mar del Plata 2005)

Tof : Comment se porte le cinéma actuellement en Argentine ?
Anahi Berneri :
Ca fait dix ans qu’on parle du nouveau cinéma argentin. Il bénéficie du soutien de l’Institut National de l’Audiovisuel, mais malgré ces moyens, il est difficile de le maintenir en vie, surtout par rapport à la place importante que prend le cinéma américain. il arrive souvent qu’un film argentin soit beaucoup mieux reçu ailleurs dans le monde, qu’en Argentine.

Tof : Et quelle est la situation des homosexuelLEs actuellement dans ce pays ?
Anahi Berneri :
Pour l’instant la seule chose obtenue est le contrat d’union civile à Buenos Aires. Ils cherchent maintenant à obtenir le mariage, mais rien n’a avancé sur ce point pour l’instant. Enfin on remarque tout de même une certaine ouverture sur les demandes des homosexuelles, ces cinq dernières années …

Tof : En regardant Un ano sin amor, on pense un peu aux Nuits Fauves de Cyril Collard, quoique les dominantes de couleurs y soient plutôt opposées. Dans les Nuits Fauves on a plutôt des couleurs chaudes comme le rouge, alors qu’ Un Año sin amor est plutôt dominé par des couleurs froides bleutées. C’était une manière de rendre le film plus pesant et triste ?
Anahi Berneri :
Plus mélancolique en tout cas, mais on est bien d’accord, c’est un film qui parle avant tout de la vie. Le grain particulier de l’image et la désaturation des couleurs étaient importants pour donner cette impression de mélancolie mais aussi parce que le film se déroule en 1996.

Tof : Le rôle principal est assez fort. Qu’est-ce qui a poussé Juan Mijunin à l’accepter. Etait-il concerné d’une manière ou d’une autre par cette histoire ?
Anahi Berneri :
Non il a tout simplement été fasciné comme moi par la volonté de vivre, malgré la maladie, de son personnage. En fait nous sommes allés tous les deux dans les lieux SM du film. Le médecin réel de Pablo l’a aidé à comprendre la réalité de la maladie.

Tof : Au fil de l’histoire, il semble s’amaigrir et pâlir. A-t-il dû suivre un régime particulier ou c’est simplement le résultat d’un maquillage savant ?
Anahi Berneri :
Il a en effet dû perdre six kilos pour le film, alors qu’il est déjà fin naturellement puisque c’est un danseur à la base. Et puis le maquillage a aidé beaucoup également !
Pour prendre son traitement il a besoin de tomber amoureux, et du coup se donner une raison de s’en sortir.
Il a besoin de se battre pour celui qui incarnera l’homme parfait à ses yeux, même si c’est une illusion.
Il préfère cela plutôt que d’aller vers un ami qui lui montre de l’intérêt. Et d’ailleurs il va finir par couper les ponts avec ce qui le rattache au cercle familial, (il vit chez sa tante ; ndlr) pour prendre sa liberté et quelque part s’émanciper par rapport à la maladie (métaphore avec la famille ; ndlr)

Merci Anahi, d’avoir sû apporter ta vision sur ce formidable élan vers l’amour et la vie. « Un Año sin amor » ne manquera pas d’éveiller les curiosités. Il était sans doute important de montrer qu’il est possible de vivre avec la maladie, en gardant la fougue et l’envie, en aillant un idéal. Le Sida reste un obstacle, dont on ne se prémunit que via l’utilisation du préservatif. Il fait intervenir bien des problématiques qui chamboulent toute une vie, sans pour autant toujours la réduire à néant. Pablo Perez, dont le film retrace le parcours, est aujourd’hui toujours en vie. Pas une généralité certes, mais un message d’espoir non négligeable.


Un año sin amor, dans les salles le 19 Avril.

Voir la fiche du Film : ICI

Inscrit à Citégay, surveille tes [email protected] ! Bientôt des places à gagner pour aller voir ce film !





Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Officialisation d’une Plate-forme Inter associative de Prévention

Défaire le genre