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Mariage gay : le  »oui » américain

Barronelle Stutzman est fleuriste à Richland, dans l’Etat de Washington. Cette septuagénaire, mère de huit enfants, est poursuivie par la justice pour avoir refusé à l’un de ses fidèles clients de composer les bouquets de mariage qu’il venait lui commander. Depuis, Rob a convolé avec son ami Curt. Barronelle, elle, s’est retrouvée au cour d’un long combat judiciaire. Déniant tout acte de discrimination, elle est récemment venue défendre sa position sur la chaîne de télévision Fox News, porte-voix de la droite conservatrice américaine. « A cause de ma ­relation avec Jésus-Christ, qui m’enseigne que le mariage est entre un homme et une femme, je ne pouvais pas servir Rob, a affirmé la commerçante, de confession baptiste. C’est une question de liberté. » Le juge ne l’a pas entendu ainsi. Il a estimé que le respect des croyances, garanti par la Constitution, n’entraînait pas forcément le respect des actions menées au nom de ces croyances.

Barronelle Stutzman n’est pas un cas isolé. Commerçants, juges ou élus, ceux qui revendiquent leur opposition radicale au mariage gay le font le plus souvent au nom de leurs croyances religieuses. « Les cours de justice sont en train de mettre à bas une institution [le mariage] ordonnée par Dieu », a récemment déploré Roy Moore, le très pieux président de la cour suprême de l’Alabama. Pour tous ces opposants, l’heure est grave. En avril, la Cour suprême des Etats-Unis se saisira de ce sujet. Avant l’été, elle pourrait décider que, en vertu du 14e amendement qui prévoit « l’égale protection » des citoyens, l’union entre deux hommes ou entre deux femmes est un droit constitutionnel.

Les interdictions qui persistent dans 13 Etats américains sur 50 seraient alors balayées, ­parachevant une révolution sociétale menée à un train d’enfer. Alors que 6 Etats seulement autorisaient en 2011 le mariage gay, ils sont aujourd’hui ­37, qui hébergent les trois quarts des Américains.

« Combat d’arrière-garde  »

Dans la crainte de ce bouleversement, les « anti » fourbissent leurs armes. Ted Cruz, sénateur du Texas et possible candidat aux primaires républicaines de 2016, vient même de ­déposer une loi visant à laisser aux Etats le droit de donner leur propre définition du ­mariage. Mais, pour nombre de juristes, le combat est perdu d’avance. « Si la Cour suprême dit que le mariage entre homosexuel(le)s est un droit constitutionnel, les Etats devront l’appliquer. En vertu de la « clause de suprématie », la Constitution est la loi suprême du pays », rappelle Judith Schaeffer, vice-présidente du think tank ­Constitutional Accountability Center. « Le combat des opposants au mariage gay est un combat d’arrière-garde », affirme aussi Michael Rosenfeld. Sociologue à l’université Stanford, il ne croit pas à une mobilisation ­militante pérenne.

« Dans les Etats conservateurs, où l’interdiction du mariage homosexuel a été levée par ­décision de justice, certains responsables ont dit leur désaccord, puis ont décidé. de ne plus en parler. Ils savent que les jeunes électeurs, qu’ils soient républicains ou démocrates, soutiennent massivement le mariage gay. » Entre 2003 et 2014, les moins de 35 ans partisans du mariage gay sont passés de 51  % à 67  %. L’évolution a été tout aussi inexorable dans l’ensemble de la population américaine : les pro-mariage gay sont désormais 52  %, contre 35  % en 2001, selon le Pew Research Center. Seuls les protestants évangéliques blancs demeurent ancrés dans leur opposition : 21 % d’entre eux seulement y sont favorables.

Sur un sujet de société a priori aussi clivant, une telle évolution de l’opinion publique est inédite, estime M. Rosenfeld. Inédite aussi la rapidité avec laquelle une majorité d’Etats est passée de l’interdiction du mariage homosexuel à sa légalisation. Il faut dire que les Etats-Unis, pionniers en matière de défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et trans (LGBT) depuis les années 1980, sont restés longtemps à la traîne sur la question du mariage. Avant d’inverser la tendance de manière spectaculaire.

Discrimination inconstitutionnelle

Comment expliquer ce paradoxe ? L’histoire commence en 1993 à Hawaï, lorsque la Cour suprême de cet Etat estime que l’interdiction du mariage gay constitue une discrimination, et décide d’accorder aux couples homosexuels les mêmes droits qu’aux hétérosexuels. Craignant une « contagion » aux autres Etats, le Sénat et la Chambre des représentants, issus des élections de 1994 marquées par une poussée conservatrice, cherchent la parade. Les élus concoctent un texte qui, dans sa section III, définit le mariage comme « l’union entre un homme et une femme ». Le Defense of marriage act (DoMA) est adopté en 1996 et signé par le président démocrate Bill Clinton, qui avouera plus tard avoir été mal à l’aise sur ce dossier.

Un à un, les Etats adoptent alors l’interdiction du mariage gay. Il faut attendre 2004 pour que le Massachusetts brise le consensus et autorise le mariage homosexuel. Mais, en vertu du DoMA, les couples concernés ne peuvent jouir des droits accordés aux couples hétérosexuels au niveau fédéral en matière de sécurité sociale ou d’impôts. « C’était un mariage de seconde classe », juge Mme Schaeffer. A partir de 2010, le caractère discriminatoire du DoMA est de plus en plus vivement dénoncé. En 2011, c’est le coup de grâce : le président Obama, qui s’est par le passé publiquement déclaré contre le mariage gay en raison de sa foi chrétienne, estime cette discrimination inconstitutionnelle. La Cour suprême lui donne raison en 2013 et abroge la section III du DoMA, ouvrant la voie à la légalisation. « Depuis, on a vu une explosion des décisions en faveur du mariage gay. Ce fut clairement un catalyseur pour les jugements de ces deux dernières années », analyse Mme Schaeffer.

« Les opposants ont perdu du terrain car beaucoup d’Américains se sont rendu compte que, là où le mariage homosexuel était autorisé, la société ne s’écroulait pas »
Michael Rosenfeld, sociologue à l’université Stanford

Des facteurs sociologiques expliquent aussi ce tournant. « L’intensité de l’opposition au mariage homosexuel a produit un effet boomerang. Nombre d’hétérosexuels ont pris leurs distances avec l’esprit anti-gays. Et les plus jeunes ont commencé à se demander en quoi le mariage gay était un problème », soulignait George Chauncey, historien spécialiste du mariage homosexuel, dans une tribune parue en 2013 dans le New York Times. « De plus en plus d’Américains connaissent des couples homosexuels qui élèvent des enfants et les considèrent comme des familles », ajoute Mme Schaeffer. En 2013, l’association des pédiatres américains, qui regroupent 60 000 médecins, a pris parti pour le mariage gay, estimant qu’il était bénéfique pour les quelque 2 millions d’enfants élevés, totalement ou en partie, dans une famille homoparentale.

« Les opposants ont perdu du terrain car beaucoup d’Américains se sont rendu compte que, là où le mariage homosexuel était autorisé, la société ne s’écroulait pas, explique M. Rosenfeld. Ils ont aussi pris conscience que le fait que deux homosexuels se marient leur garantissait une meilleure protection, mais n’avait pas d’implications sur le reste de la population. » Cette évolution marque une grande différence avec la question raciale et l’avortement, deux des autres sujets ultrasensibles de la vie politique américaine. Dans ces domaines, certains Etats, notamment dans le Sud, continuent à s’opposer à la loi fédérale.

« Lorsque la déségrégation scolaire a été décidée en 1954, les parents blancs ont tout de suite vu les conséquences pour leurs propres enfants. Les résistances ont persisté et persistent ­encore », précise le sociologue. Dans certaines régions, le tracé de la carte scolaire et la création d’écoles privées contribuent à maintenir une forme de ségrégation raciale dans le système éducatif. La fermeture de cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse, voire l’interdiction de construire de tels centres, comme c’est le cas en Louisiane, fait aussi partie de ces stratégies.
Rien de tel à attendre sur le dossier du ­mariage gay, estime M. Rosenfeld. La situation serait plutôt analogue à ce qui s’est passé après la légalisation des mariages interraciaux, en 1967. « Il y avait une forte opposition, et puis, au bout de quelques années, plus personne n’a remis cela en cause. Cette fois aussi, il y aura toujours des opposants, mais au fil du temps, il sera de plus en plus difficile de trouver des gens qui pensent que le mariage gay est illégal. » Sauf peut-être chez ceux qui, comme Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas et possible candidat aux primaires républicaines, estiment que le mariage gay est « une question ­biblique », sur laquelle aucune évolution n’est possible. Les mêmes qui, aujourd’hui, refusent de capituler devant « neuf personnes en robe », les neuf juges de la Cour suprême.

Source : Le Monde



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