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Sida : se PrEParer à un essai français ? (Partie 1)

Le SIDA (Syndrome d’ImmunoDéficience Acquise) aime les acronymes à défaut d’aimer les HSH (Hommes ayant des relations Sexuelles avec d’autres Hommes). Après les ARV (traitements Anti-RétroViraux), les TPE (Traitements Post-Exposition), les politiques de RDR (Réduction Des Risques), est récemment arrivé un petit dernier : les PrEP (Prophylaxies Pré-Exposition). On peut adjoindre un  »i », en préfixe, si cette prophylaxie annoncée, faute d’être pour le moment avérée, est prise de manière intermittente et non quotidiennement.

Les chercheurs aiment la recherche et c’est tant mieux, aime(raie)nt trouver et c’est tout aussi bien. Les associations aiment les actions, c’est leur fonction, aiment les résultats, c’est leur ambition. Elles aiment aussi les débats, c’est utile, voire les querelles, et c’est souvent tant pis. Aussi tant pis, si face à un consensus mou qui se dessine pour approuver un essai français sur une Prophylaxie Pré-Exposition intermittente (i-PrEP) nous avançons via ces lignes un scepticisme sur l’intérêt même d’une telle étude et l’intérêt de l’administration d’antirétroviraux à des séronégatifs comme mode de prévention. Au mieux, on nous remerciera poliment pour notre participation. Plus probablement, on nous déniera la capacité même d’intervenir en tant que média communautaire, étranger à la sphère experte, professionnelle ou profane, avec nos statuts privés, sans représentativité ni légitimité. Comme ces arguments sont admissibles, autant ne pas se priver. Depuis quelques mois on nous parle d’une concertation communautaire sur le sujet, dont l’un des évènements sera la tenue d’une Réunion Publique d’Information (RéPI) organisée par Act Up ce 16 décembre en présence du professeur Jean-Michel Molina, principal instigateur du projet français. Alors réagissons et participons.

Projet français d’essai sur une Prophylaxie Pré-Exposition intermittente (i-PrEP) auprès d’une cohorte de gays séronégatifs
L’intérêt ambitionné du projet vise à démontrer que l’administration à des personnes séronégatives, en parfaite santé, d’une combinaison médicamenteuse antirétrovirale, pourrait les prémunir, au moins partiellement, d’une infection en cas de rapports sexuels non protégés. Si sur l’animal, des essais laissent déjà supposer qu’une telle Prophylaxie Pré-Exposition prémunirait d’une infection malgré des expositions au VIH, sur l’Homme, des essais sont en cours à travers le Monde, principalement en Afrique, mais aussi aux Etats-Unis et en Amérique su Sud.

Ainsi, un projet français de recherche, avec une cohorte d’homosexuels à recruter serait en cours de formalisation et soumis à la concertation du TRT-5, groupe inter-associatif qui rassemble huit associations de lutte contre le sida dont ARCAT, Sida Info Service, Aides ou encore Act Up Paris. L’essai porte sur l’administration intermittente de Truvada, une association fixe de deux médicaments antirétroviraux (ténofovir + emtricitabine), médicament à prendre plusieurs heures avant des rapports sexuels planifiés et quelques heures après, ou le lendemain. Une troisième molécule pourrait être associée à la combinaison initiale. L’essai étant randomisé, la moitié des participants bénéficiera de cette combinaison antirétrovirale, l’autre partie de la cohorte disposera d’un placebo. Au terme de l’essai, 2 ans selon les données pour l’heure communiquées, la comparaison des incidences au Vih au sein de chaque groupe doit permettre de voir si le groupe bénéficiant du Truvada aura un taux de contaminations significativement moins important que celui où le placebo aura été administré et dans quelle proportion.

Les initiateurs du projet, dont l’Agence National de Recherche sur le Sida et les hépatites (ANRS), annoncent déjà vouloir recruter quelques centaines de participants dès 2010. Dans le préprojet présenté au printemps dernier, la cohorte nécessaire est estimée à 1.500 personnes à inclure.

Banalisation de la méthode et postulat d’un bénéfice préventif
Pour les adhérents au projet, la méthode n’est pas nouvelle et l’éventuel bénéfice préventif est déjà estimé. Aussi, les initiateurs de l’essai soulignent que l’administration de médicaments à des personnes en bonne santé est déjà courante, moyen de banaliser cette méthode comme d’en relativiser la singularité. Sont ainsi cités les traitements préventifs contre le paludisme, la prise de la pilule par les femmes fertiles pour se prémunir d’une grossesse, l’administration d’ARV aux femmes enceintes pour éviter les transmissions materno-foetales du Vih, les TPE en cas de prises de risques avérées ou bien encore le principe vaccinal même. Pourtant, ces données sont difficilement comparables et appellent autant d’oppositions qu’ils permettent de servir de bases de réflexion. Ainsi, la prévention médicamenteuse contre le paludisme est limitée dans le temps, présente des effets indésirables notables comme génératrice de résistances voire est indifférente à des formes mutantes et résistantes. L’argument de la contraception orale est surprenant, non seulement par ce que la non observance montre justement les limites de la méthode, par ce que les effets indésirables sont rares et négligeables mais aussi par ce que la grossesse n’est pas en soi une pathologie mortelle. Concernant les ARV administrés aux femmes enceintes séropositives, l’argument est tout aussi étonnant. Si l’efficacité d’une telle administration n’est plus à démontrer, elle repose sur le fait que c’est la seule option préventive possible pour éviter l’infection du nouveau né, on ne peut par définition influer sur le comportement préventif d’un foetus et aucune autre méthode préventive ne peut être mise en oeuvre. Quant aux TPE, insuffisamment mis en avant (ni étudiés par ailleurs), ils n’ont jamais constitué un mode de prévention mais sont utilisés comme un mode ponctuel de  »réparation » d’un échec de prévention et non de  »substitution » au préservatif. Enfin, quant à l’argument vaccinal il appelle tout autant à refuser qu’il soit opposé, la vaccination est généralement un acte unique (ou faiblement répété via les rappels), indifférente aux comportements sociaux, sans soucis d’observance, et la protection engendrée est généralement maximale.

Les initiateurs du projet avancent également s’attendre à une protection engendrée de l’ordre de 60% et posent ainsi un postulat préventif reposant sur une interprétation des données animales ou de modélisations scientifiques. On nous déclare, à juste titre ou non, que l’essai vise justement à vérifier si cette protection théorique se retrouve dans les faits alors même que d’autres études, portant également sur l’administration de Truvada sont en cours et qu’elles pourront déjà répondre à cette question. La seule originalité de l’étude française repose en fait sur l’intermittence de l’administration mais cette dernière repose sur un postulat trompeur et risque de se révéler bien théorique dans les faits. De plus, la protection supposée engendrée par les ARV pris en prophylaxie peut, scientifiquement, constituer un rempart préventif ponctuel et à court terme mais l’essai, partiel et temporel, risque de ne pas répondre dans les faits aux besoins à long terme ni ne répondra à la notion des risques cumulés.

Une Prophylaxie Pré-Exposition intermittente sur le papier, continue probablement dans les faits, ou un Traitement Post-Exposition qui ne porte son nom ?
En effet, outre des finalités économiques pour réduire le coût de la dite Prophylaxie, on nous avance, sans le démontrer, comme intérêt d’une prise intermittente, le fait que «l’activité sexuelle est le plus souvent concentrée dans la semaine et planifiée». C’est sur ce postulat, avec comme corolaire un critère d’inclusion dans l’essai le fait d’avoir une «exposition au risque non quotidienne mais concentrée sur 2-3 jours», que repose l’originalité de l’essai français. Mais ce postulat risque bien de se révéler faux en pratique.

Le protocole repose sur une prise médicamenteuse (ou du placebo) plusieurs heures avant des rapports sexuels planifiés et quelques heures après, ou le lendemain. La concentration supposée des rapports sexuels sur 2-3 jours (Ndr : le week-end, suppose-t-on) justifierait la prise intermittente et distingue l’essai des autres en cours. Pourtant, la concentration supposée des rapports sexuels dans la semaine est aussi aléatoire et virtuelle que la planification des prises de risques. Editeurs de services de rencontres et utilisateurs de ces mêmes services savent très bien, au désespoir des seconds, que la planification des relations sexuelles est un mythe ou se révèle fortement aléatoire. La concentration journalière des rapports l’est tout autant. Aussi, dans les faits, alors même que les personnes en recherche de rencontres sexuelles ne savent pas forcément si elles auront une relation dans l’heure, dans la journée ou dans la semaine, elles risquent de voir en pratique la prise médicamenteuse se répéter quotidiennement ou quasi quotidiennement non pas tant en raison de leur activité sexuelle avérée mais en raison de celle espérée. Dans un moindre mal, cette prise risque aussi de ne pas répondre au protocole car non assez précoce par rapport au rapport sexuel. Enfin, au pire, cette prise risque de ne pas se faire du tout faute d’avoir planifié le dit rapport. Outre les conséquences sur l’architecture même de l’essai, cette remarque n’est pas sans conséquences sur la posologie utilisée lors de l’essai, le Truvada ayant des effets secondaires potentiels graves, notamment sur l’activité rénale.

Ainsi, cette i-PrEP risque sérieusement dans les faits de se transformer en PrEP quotidienne qui elle-même ressemble dans les faits à un Traitement Post-Exposition qui ne porte pas son nom, la prise antérieure à l’exposition au risque étant la seule originale.

Mais ces difficultés qui seront rencontrées en pratique n’exemptent pas de s’interroger sur le fait de faire des ARV un mode même de prévention même si le rapport Pialoux-Lert, la déclaration Suisse antérieure initiatrice du débat comme dans une moindre mesure l’avis de dépistage généralisé de la Haute Autorité de Santé, semblent avoir acté ce fait dans notre politique publique de santé. Si on ne peut nier le fait scientifique que les ARV réduisent considérablement, et on ne peut que s’en féliciter pour les séropositifs, la virémie, faire des traitements un mode de prévention pour les séronégatifs est un saut en cours de franchissement qui risque tout autant de poser des problèmes qu’il n’en résout. Sur le sujet, et à juste titre, Philippe Adam vient de publier, sur le site Minorites.org, un très intéressant article sur la notion de «risque cumulé» qui tout en soulignant la faiblesse du risque de transmission générée par les ARV n’en souligne pas moins l’importance de ce même risque dans le temps avec la multiplication des rapports sexuels et des expositions.

Aussi, l’essai i-PrEP qui se bornera à une étude sur deux ou trois ans ne relèvera pas l’incidence du risque cumulé sur 10, 20, 30, 40 ou 50 ans, pour les personnes susceptibles de bénéficier de cette Prophylaxie. Les résultats déjà estimés qui, s’ils paraissent suffisamment significatifs pour admettre un bénéficie préventif à court terme, même partiel, sont loin de répondre à l’enjeu d’une prévention pérenne à long terme pour un homosexuel désireux durant toute sa vie sexuelle de se prémunir des infections au Vih et IST.

Suite : Sida : se PrEParer à un essai français ? (Partie 2)




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