Une semaine digne des années 90, d’un autre siècle, si loin, si proche. Lundi. Crémation de mon ami D. au Pèrelâche. Du sida bien sûr. Ça redevient super à la mode. On en meurt toujours. L.G., le beau black, il y a quelque semaine et là, c’est mon tatoueur qui s’efface. Mon bras entièrement marqué par sa main qui aujourd’hui se consume et s’insinère. Au loin, son mari, Philippe, mon parrain en 1992. Parti lui aussi. Quand j’arrive devant le colombarium, ils sont tous là, les vieux potes en perf’ de l’ASMF. Heureusement que j’ai la crève, c’est un bon prétexte pour se moucher.
Ça n’arrête pas. La liste s’allonge de jour en jour. Pogrom. Et encore et encore. Cette fois-là, c’était Z. qui avait viré Canigou. Un X de trop lors d’une soirée bien longue, un after qui s’éternise le samedi matin et hop.. C’est son ex, le mardi matin, qui inquiet de ne pas avoir de ses nouvelles passera chez lui. Et découvrira le corps, révulsé. Pourtant, il n’était pas plombé. C’est ce que j’appelai un séronèg en phase terminale. Il s’était perdu dans la drogue depuis belle lurette. Même lui ne s’y retrouvait plus. La nuit se noie dans l’alcool et la drogue.
Je sors de consult. Je n’arrive pas à me débarrasser d’une syphilis mal traité. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Les MST sont de plus en plus virulentes. Je commence a en avoir marre des chtouilles. Alors dès fois, je pratique même le safe sexe, oui-oui ! Enfin de temps en temps pas plus. Après dix, quinze, vingt ans de contamination, je comprends que les vieux POZ comme moi ne se protègent plus malgré les risques. Par contre, que les petits NÈG se foutent en l’air, ben là, je ne pige pas trop. Suicidaire qu’il est notre monde je vous dit ma bonne dame. Génération sacrifié, (auto)mutilée. La dernière enquête sur les clients de backroom est hallucinante. Un tiers des répondants déclarent des pénétrations anales non protégées. Ça monte à près de 40% des moins de 25 ans… Comme si le sida était la bonne âme qui mettait fin à tant de douleurs, tant d’incapacité à vivre. « Merci au Saint Sida d’abréger nos souffrances ». Mieux que la drogue, plus lent que le suicide immédiat.
J’ai passé la semaine à l’hosto soutenir la Crevette. Il a un cancer de l’anus. Cool pour un pédé. On rigole : « tu vas être chic cet été à Ibiza avec ta poche ». À l’Hôpital Tenon, ça sent moche le sapin. Il fait un froid de dinde, au marrons, glacés. Mêmes odeurs, couleurs équivalentes, émotions analogues. Retour dans la nuit. Un hôpital. Un. Et encore et encore. Ça faisait longtemps ma bonne dame, ben je suis contente de vous revoir et comment qu’allez-vous donc ? J’assure. Faut, pour la Crevette, être fort, pour la vie, malgré tout, que je maîtrise la situation, que je fasse comme ci, que je reste droit, que je fasse comme ça et patati et patata. Je n’ai pas d’émotions, mon coeur est glacé, rien ne palpite, comme la terre, le sang en épine, glacé. Juste ce trouble que m’écrase en sortant de l’ascenseur, celui, devant la porte de sa chambre, avant de le voir, les eaux qui affluent, montent par dessus la barrage. Retenir. Ne pas rompre. Cinq chimios à la queue le leu. Il veut maintenant se casser, en finir, ne plus avoir ce jus de mort dans le sang, sentir les médocs de partout, exsuder de tous ces pores, la langue suintante, fusiller sa tumeur, lui exploser le cul, en être débarrassé, survivre. Puis ces sapins de Noël partout, avec ces boules de merde, ces guirlandes qui puent, ces putains d’arbres qui vous réveillent le passé, dépassé. Et encore et encore. Fais chier. Juste le besoin de les saccager, putain, pour ne plus jamais les voir, vivre sans eux, enfin libre, libéré du passé, dépassé, consumé. Oui, envie de plomber le Père Noël. Et puis Jésus et Dieu aussi, leur exploser le cul avec le poing. Et encore et encore, déchirer les muqueuses avec les ongles, bien tirer sur les chairs, ouvrir, saigner, puis cracher en eux la plombe. Qu’on en soit enfin débarrassé de ces emmerdeurs. Une fois pour toute. Qu’il ne nous fassent plus chier tous les ans avec leur histoire de merde à la con.
Je sors de l’hôpital avec Marcelle, la petite maman de Crevette. La pauvre femme. On tombe pile sur le 20ème anniversaire de la mort de son mari. D’un généralisé. Aujourd’hui, c’est son fils qu’elle veille. Ce n’est pas une vie ma bonne dame. Chimio et radio sont sur un bateau… Crevette se laissait aller. Il ne prenait pas bien ses médicaments, était en pot d’échappement thérapeutique. Et il passait son temps à se défoncer, boire, se droguer et fumer. Bouffer du sexe, à en dégueuler. Il n’est pas le seul de sa génération, gay ou pas.
Sinon moi, ça va. J’ai la pêche. Je fais attention à moi. Je me suis calmé. Enfin maintenant. Il serait temps ma bonne dame. Rentré il y a un an et demi sous bithérapie légère après 11 ans de contamination. Bilan parfait. Je fais du sport cinq fois par semaine ; bois peu d’alcool ; j’ai arrêté le shit (30% d’énergie en plus), le tabac (je ne m’incendie plus), une petite ecsta par mois. Et hop ! J’ai pris 15 kilos de muscle. Je me fais plaisir à voir. Puis je vais enfin finir mes études après mes deux maîtrises de psycho et de philo. Passer un DESS pour être psychologue, spécialiste de la sexualité. J’ai fais le ménage avec mes faux amis et les vrais mensonges. Enfin du recul. Je deviens zen. Je viens de m’apercevoir (en passant) que j’ai passé douze ans à me détruire. Mais je ne pouvais vivre qu’en me détruisant. La vie n’est pas dure, elle est réaliste. Puis je suis toujours là, heureux, en bonne santé, vivant.
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Séropo ergo sum

