Dans une décision (Anglais) rendue aujourd’hui, jeudi 24 juin 2010, la Cour européenne des Droits de l’Homme qui siège à Strasbourg a rejeté la plainte d’un couple d’hommes autrichien qui reprochait aux autorités de Vienne de les empêcher de s’unir. Les deux hommes estimaient qu’il s’agissait d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au mariage, le droit à la vie privée et familiale et qui interdit les discriminations basées sur l’orientation sexuelle.
LE DROIT AU MARIAGE, DU SEUL RESSORT NATIONAL… POUR L’HEURE
Horst Michael Schalk et Johann Franz Kopf, un couple de quinquagénaires, avaient demandé en vain, en 2002, à se marier auprès de la mairie de Vienne. Les recours interne à l’Autriche ont été tout autant infructueux et les deux hommes se sont tournés vers la cour strasbourgeoise.
La Cour a alors examiné si le droit au mariage accordé à «l’homme et [à] la femme» tel que défini à l’article 12 de la convention pouvait être étendu aux couples homosexuels. Et bien, pour les sept juges (ndr : le juge français Costa ne siégeait pas), et à l’unanimité, le droit au mariage ne s’étend pas aux couples de même sexe même si «la jurisprudence de la Cour (veut) que la Convention soit interprétée à la lumière des conditions de vie actuelles».
Si «En ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (…), la Cour note que l’article par lequel elle consacre le droit de se marier ne parle pas de l’homme et de la femme ; par conséquent, ce droit n’est pas limité absolument au mariage entre deux personnes de sexe opposé», elle a constaté «qu’aucun consensus ne se dégage parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe sur la question du mariage homosexuel». Aussi, elle renvoie «à chaque Etat membre le soin de décider si, dans son ordre juridique, le mariage homosexuel doit être permis». La Cour souligne que «les autorités nationales sont mieux placées pour apprécier les besoins sociaux en la matière et pour y répondre, le mariage ayant des connotations sociales et culturelles profondément ancrées qui diffèrent largement d’une société à l’autre».
Si le droit au mariage stricto sensu n’est pas garanti au niveau européen par la Cour, le constat d’absence de consensus sur le sujet fait par la Cour comme des différences de traitement entre pays sur ces sujets laissent la voie à une évolution dans les années à venir si une tendance égalitaire se dégage en Europe. Mais plus intéressante est l’analyse faite par la Cour sur la base du droit à la vie privée et familiale, trois juges sur sept ayant fait une analyse divergente et auraient, à une voix près, prononcé une décision toute autre…
LA RECONNAISSANCE LEGALE DES COUPLES DE MÊME SEXE FORTEMENT DEBATTUE PAR LES JUGES
En effet, les juges Rozakis (Grèce), Spielmann (Luxembourg) et Jebens (Norvège) ont exprimé une opinion dissidente sur le fait de savoir si l’Etat autrichien avait ou non violé la convention européenne qui reconnait le droit à une vie privée et familiale et interdit les discriminations homophobes, en particulier à cause du fait que jusqu’au 1er janvier 2010 il n’y avait aucune reconnaissance légale des couples homosexuels par la législation locale, l’adoption des partenariats enregistrés (équivalent de notre Pacs) ayant été depuis cette date effective.
Les quatre autres magistrats, soit la majorité à une voix, ont estimé qu’il n’y avait pas eu violation de la part de l’Autriche sur ce point mais l’argumentation de la cour est pour le moins trouble. Ainsi, la Cour rappelle avoir «jugé à maintes reprises qu’une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle devait être justifiée par des motifs particulièrement impérieux» et que «Les couples de même sexe doivent être présumés capables, aussi bien que les couples de sexe différent, d’entretenir des liaisons stables. Ils se trouvent donc dans une situation analogue pour ce qui est de leur besoin de faire reconnaître légalement leurs relations». Mais elle justifie son rejet de sanctionner l’Autriche sur le motif précité en se basant sur le fait que l’absence d’obligation de fournir un droit au mariage fait qu’il y a automatiquement absence d’atteinte au droit à la vie privée et familiale. La Cour refuse ainsi de faire une analyse séparée des motifs.
C’est sur ce point que les trois juges fondent leur argumentaire dissident, estimant que la Cour aurait au contraire dû souligner davantage le fait que les requérants «n’avaient aucune autre possibilité de reconnaître leur relation conformément à la loi avant l’entrée en vigueur» des partenariats enregistrés. Au surplus ils précisent qu’«Aujourd’hui il est largement reconnu et admis par la société que les couples de mêmes sexes s’impliquent dans des relations stables. Toute absence d’un cadre juridique leur offrant, au moins jusqu’à un certain degré, les mêmes droits et avantages attachés au mariage devrait être fortement justifiée, en tenant surtout compte de la tendance grandissante en Europe visant à offrir» des reconnaissances légales de ces couples aurait dû être sanctionné. Cela veut dire que pour ces trois juges, d’une part l’Autriche devait être condamnée car elle n’offrait aucune reconnaissance légale des couples homosexuels, et d’autre part, et c’est le plus important, les trois juges estiment qu’en Europe aujourd’hui un régime légal proche du mariage devrait être offert aux couples homosexuels dans tous les pays membres du Conseil de l’Europe.
En conséquence, si l’on peut être déçu, au premier regard, de la décision rendue, son analyse et la porte ouverte offerte par les juges offrent de sérieux espoirs qu’un revirement de jurisprudence par la Cour européenne même intervienne dans les années à venir. La CEDH renvoie également aux politiques nationaux le soin de trancher pour l’heure ces questions…
VIEDO PLUS
L’audience de l’affaire en vidéo



