LETTRE OUVERTE THOMAS DOUSTALY
DIRECTEUR
DE
Cher
Thomas,
L’ditorial que tu signes
dans le numro de mars de Ttu appelle de notre part cette raction, tant nous
estimons dangereuses les positions que tu affiches quelques semaines des
lections prsidentielles.
D’un ct, tu sembles te
fliciter de la ractivation, visible et lisible dans les programmes des
candidatEs l’lection prsidentielle, du clivage gauche-droite en matire
d’galit des droits des LGBT. De l’autre, ta conclusion est sans appel :
que Nicolas Sarkozy ou Sgolne Royal l’emporte, on a gagn , la
victoire est au bout du chemin en matire d’galit des droits, puisque les
homosexueLEs pourraient accder soit une union style Pacs , soit
au mariage. Ainsi, les positions des candidatEs des deux principaux partis de
gouvernement seraient clives , mais nous pourrions nous satisfaire
indiffremment de la victoire de l’unE ou de l’autre tant les acquis qu’il ou
elle apporterait en cas d’lection seraient quivalents.
Une argumentation aussi
confuse et paradoxale ne peut que desservir notre combat pour l’galit des
droits.
La concidence entre la
publication de ton ditorial et l’arrt de
fvrier, qui interdit les procdures d’adoption simple pour les homosexuelLEs,
invalide de fait ton enthousiasme. Cette dcision de justice constitue en effet
un appel clair, lanc aux politiques, une modification de la lgislation en la
matire, comme l’ont rappel l’APGL et le CGL de Paris-Ile de France. Et il
n’est pas besoin d’aller trs avant dans les programmes des candidatEs pour se
rendre compte que nous n’aurons pas gagn en ce domaine si la
droite passe.
Car au-del de l’union, que
tu poses comme lment central du clivage droite-gauche et qui semble tre
l’horizon indpassable de ta pense, les revendications en matire de droits
LGBT imposent une conception qui s’applique aux couples comme aux individus et
qui implique, notamment, l’ouverture aux homosexuelLEs de l’adoption pleine,
l’assistance mdicale la procration pour les lesbiennes, la modification des
conditions d’accs au partage de l’autorit parentale, la lutte contre les
discriminations et les violences dont sont victimes les personnes LGBT, le
retrait du transsexualisme de la liste des maladies mentales, le
droit au changement d’tat civil des transgenres, la dpsychiatrisation du
changement de sexe.
Autant de sujets sur
lesquels les partis de gauche, s’ils ne donnent pas entirement satisfaction,
ont trs clairement montr dans leurs programmes qu’ils taient prts
amliorer la situation. Faire croire qu’il en sera de mme avec la droite relve
de la navet, ou du mensonge. La seule lecture des programmes politiques suffit
pour s’en convaincre.
Mais s’il faut s’en tenir au
seul sujet de l’union, ton argumentaire ne tient pas. Si nous obtenons des
avances aprs les lections prsidentielle et lgislatives, elles n’auront pas
la mme porte, symbolique et relle, en cas de victoire de Nicolas Sarkozy ou
de Sgolne Royal.
Si une union style
Pacs , un Pacs amlior ou un Pacs ouvrant des droits similaires ceux du
mariage – hormis ceux relatifs la
parentalit – tait adopt, nous ne
pourrions en aucun cas proclamer notre joie ou crier victoire. Cela signifierait
cinq ou dix annes perdues pour les personnes LGBT et le maintien d’une droite
qui, contrairement certaines de ses voisines europennes, reste arc- boute
sur des valeurs traditionalistes et refuse de prendre acte de la ralit de
toutes les situations familiales Comment pourrions-nous entamer un quelconque
chant de victoire cette perspective ?
Le programme de Nicolas
Sarkozy REFUSE l’galit des droits, et est, ce titre, homophobe. Il est
incroyable que nous ayons rappeler au Directeur de la rdaction de Ttu la
diffrence, symbolique, juridique, politique, entre l’accs au mariage pour tous
les couples et un autre dispositif dont les homos devraient se contenter titre
d’ersatz.
C’est donc bien l’homophobie
du programme de Nicolas Sarkozy que tu relativises en assurant qu’ on
aura gagn , quel que soit le rsultat des lections. Et c’est toujours
dans ce but que tu introduis la question individuelle, celle de
l’homme , Nicolas Sarkozy, sa personnalit et ses sentiments
l’gard des homosexuelLE. Voir cette vielle rengaine des homophobes, des
racistes, des antismites, reprise dans un ditorial de Ttu est
effarant.
Tu cautionnes les propos
tenus par le candidat UMP sur TF1 : Je n’accepte pas qu’on me dise
homophobe parce que je refuse l’adoption par les couples homosexuels , te
flicitant de l’vacuation de la question de l’homophobie relle ou
suppose des candidats eux- mmes . Ce faisant, tu spares l’action et les
propos publics d’unE responsable politique de ses sentiments personnels ou
intimes. A propos de Le Pen et de Villiers, tu dclares : L’homophobie de
leurs propositions n’entrane pas forcment l’homophobie des deux
hommes. .
Mais nous avons choisir
unE candidatE pour les lections, pas prendre le th avec, ou devenir leur
confidentE. Leurs sentiments personnels ne nous intressent pas. Et sans mme
avoir en tte la campagne lectorale, ce sont les propos publics et l’action
politique de ces personnes qui ont des consquences sur nos vies, pas leurs
convictions intimes.
Peu nous importe, ds lors,
leur prtendue homophilie prive.
Interroge Philippe de
Villiers et Jean-Marie Le Pen sur leur homophobie, et ils rpondront,
probablement sans sourciller, qu’ils ne sont pas homophobes et qu’ils respectent
les choix de vie individuels, quels qu’ils soient. En revanche, tous deux se
dclareront tout fait opposs ce que nos choix de vie trouvent une
quelconque reconnaissance, et encore moins une expression, dans l’espace public
et la sphre politique, prcisment parce qu’ils relveraient de la sphre
prive .
Tu le sais aussi bien que
nous, l’homophobie, la lesbophobie, la transphobie ou le sexisme ne sont pas que
des sentiments. Ils sont beaucoup plus que cela : un systme institutionnel
et politique qui inscrit dans les discours publics, les pratiques et la loi
l’ingalit des citoyenNEs. C’est ce titre qu’ils doivent tre
combattus.
Nicolas Sarkozy est
homophobe parce que son discours et son programme le sont : il refuse l’galit
entre homos et htros. Le reste n’a aucune importance. Au passage, nous te
rappelons que c’est Nicolas Sarkozy lui-mme qui a personnalis le sujet de
l’homophobie. Sur TF1, il avait t interpell sur le fait qu’il dfendait une
lgislation ouvertement homophobe en refusant l’ouverture du
mariage et de la parentalit aux couples de mme sexe. En se dfendant de toute
homophobie prive, Nicolas Sarkozy cherchait extraire la question du champ
politique pour la restreindre une dimension individuelle. En reprenant et
cautionnant ses propos, tu soutiens ouvertement cette
stratgie.
Tu ne peux ignorer les
consquences d’une telle position, inscrite noir sur blanc dans les colonnes de
Ttu, premier magazine gay. Imagine l’impact qu’aurait pu avoir ton ditorial si
les dfenseurs de Vanneste avaient pu le produire lors de son audience en appel,
en dcembre dernier. Christian Vanneste n’est pas homophobe quand il dit
qu’il est contre l’homosexualit. L’homophobe, c’est celui qui hait les
homosexuelLEs, l’intrieur de soi . Tels sont les propos de Philippe
Auzenet, pasteur, cit par la dfense, pour justifier les insultes du dput. Tu
n’cris pas autre chose.
Enfin, et ce n’est pas la
moindre de nos critiques, ton ditorial passe totalement sous silence les enjeux
de la lutte contre le sida dans la campagne prsidentielle. Comme si 15 % des
homosexuels n’taient pas sropositifs, comme si les enjeux de recherche,
d’accs aux soins, de politique de sant, de prcarit, de logement, d’accs
l’emploi des malades, d’invalidit ou de handicap ne les concernaient pas. Comme
si les questions minoritaires autour desquelles s’est construite la lutte contre
le sida ne concernaient pas les personnes LGBT : usages de drogues, travail
sexuel, statut des personnes trangres en France, rgularisation du conjoint
tranger, conditions de dtention des prisonniers notamment. Sur tous ces
sujets, tu ne nous dis rien de ce qu’il faudrait penser des programmes des
candidatEs.
Pourtant, si le clivage peut
te sembler moins net, l’analyse des cinq annes au cours desquelles Nicolas
Sarkozy a t membre du gouvernement est sans appel. La loi sur le handicap,
adopte en 2005, est inadapte la situation de la majorit des sropositifVEs
et des malades du sida. En matire de logement, de nombreux sropositifVEs, y
compris LGBT, n’ont pas de logement stable, voire vivent la rue : qu’ont
fait les gouvernements UMP pour empcher cela ? En 2002, la loi sur la
scurit intrieure a cr le dlit de racolage passif et a contribu
marginaliser un peu plus les travailleurSEs du sexe, les relguer aux marges
de l’espace public et les loigner encore un peu plus des droits et des soins.
La guerre la drogue , que Nicolas Sarkozy prvoit dans son
programme prsidentiel, s’est amplifie, de mme que la rpression sans faille
des simples usagerEs. L’accs la suspension de peines pour raisons mdicales,
tablie en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin, a t restreint par
l’actuelle majorit. Et en matire de droit au sjour et aux soins des malades
trangerEs, combien d’attaques depuis 2002 ?
Combien de malades
trangerEs expulsEs vers leurs pays d’origine sans autre perspective que
d’y mourir ? Combien de tentatives de restriction d’accs l’Aide Mdicale
d’Etat ?
Pour toutes ces raisons,
nous ne pouvons pas prtendre, aujourd’hui, que nous avons
gagn.
Sois assur, cher Thomas, de
nos sentiments les meilleurs,
Hugues Fischer et Emmanuel
Chteau
Co-Prsidents d’Act
Up-Paris
