« Presque rien » (juin 2000) – Sébastien Lifshitz :
La première caractéristique du film a été pour moi sa campagne de promo :
photo type Pierre et Gilles, bande annonce aux beaux corps adolescents,
envahissement complet des illico, e-male et autres journaux gratuits. Promo
racoleuse qui vous invite à voir le film déjà pour mater deux beaux jeunes
pédés s’envoyer en l’air.
Le film est coupé en deux. Sébastien Lifshitz nous livre ici une longue fin
entrecoupée d’un long début comme un mille feuilles, ou une fugue de Bach.
Le début est au soleil, dans les couleurs de l’été, et correspond assez à la
bande annonce … un jeune intello, Mathieu 18ans étudiant parisien,
découvre son homosexualité avec un jeune « sauvageon » un brin manipulateur de
province, Cédric : coup de foudre, passion, tiraillements, exigences, et
finalement départ vers une vie commune à Nantes … pas de sida, une famille
qui accepte sans approuver (voire un père qui approuve du coté de Cédric ?),
une tendresse qu’ils ne se disent (avec des mots) pas … remplacée par une
tendresse juste ce qu’il faut de brutale (luttes dans le sable, manipulation
du dialogue par l’inculte qui exige du genre c’est ça ou tire toi …) …
non mais des fois, on est des mecs ! Nous ne sommes pas ici dans la réalité,
juste dans le fantasme de ce que aurions tous aimé vivre comme découverte de
notre sexualité alliée à un premier amour balançant entre passion et raison,
et que si peu d’entre nous ont vécu.
La fin (mais le film commence par une tranche de fin) est en hivers,
couleurs froides et rythme plus lent, ombres chinoises particulièrement
réussies … entre autres ce cil devant la fenêtre du train filant dans la
brume …, où nous retrouvons Mathieu sortant d’une dépression, tentative de
suicide, essayant de recoller les morceaux, … ayant perdu l’amour, le
cachant à sa famille, se faisant embaucher comme femme de ménage dans une
brasserie quelconque de notre belle province française … glauque. L’autre
vient taper à son volet, encore amoureux, puis s’en va, résigné face au
silence qui lui est renvoyé.
Autre fantasme ou simple peinture réaliste d’une dépression … on hésite.
Que s’est-il passé entre les deux, quelle est l’histoire ? L’auteur de nous
en dit rien. Ce film est vide d’histoire, vide de sens en fait. Il s’agit
juste de la peinture en deux styles, de deux états. Un exercice formel
finalement assez conforme à la promo, à part qu’elle a oublié de vous dire
que la fin, et la douleur qui s’en dégage, vous laissera comme une amertume
là où ça fait mal… même si notre hétéro devenu pédé est encore plus
désirable en dépression qu’en rut (le cil) … film onaniste.
Une autre lecture, plus militante, est moins plaisante. En effet, je ne
serais pas vraiment étonné que cette fin, associée à ce début, ravisse Mme
Boutin dans ses préjugés dont le premier est que l’homosexuel ne peut pas
vivre heureux … et bonjour la psychiatre … Un couple pédé va
certainement à la rupture, mène forcément à l’excès, à la dépression au
moins, pire c’est mieux … l’histoire la réjouirait d’autant plus qu’il n’y
a ici aucune pression de l’extérieur, qu’on ne peux même pas lui répondre
que le malheur vient précisément de ce regard (quand cela se limite au
regard) à la fois observateur et accusateur voire destructeur qui pèse sur
nous à chaque instant … et cela sans être paranoïaque, je hais la
paranoïa. Non ici rien n’est dit en tout cas en ce sens, l’homosexuel plonge
dans la folie de lui-même, parce que c’est dans son essence, peut-être à
cause de cette vague brutalité et passion exprimée dans la conception
fantasmée de cet amour.
L’absence d’histoire elle-même est alors gênante. Que raconte ce film ?
L’attirance de deux corps qui se désirent sexuellement un été … et de deux
âmes qui mettent un an à se détruire, sans dire comment ni pourquoi … donc
lisible comme mécanique, inéluctable.
Le premier signe d’une bonne littérature est de ne pas pouvoir se faire
prendre au piège d’une mauvaise lecture …
in People
