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Sida : se PrEParer à un essai français ? (Partie 2)

Partiel, limité dans le temps, difficile en pratique, l’i-PrEP est aussi porteur de doutes éthiques importants…

Importantes questions éthiques
Ainsi, la principale question éthique soulevée par cet essai est le fait qu’il comporte un groupe placebo qui ne bénéficiera pas, par définition, des ARV comme mode additionnel de prévention en cas d’exposition au Vih, seul le préservatif devant assumer ce rôle. Face au risque de modification des comportements sexuels, les initiateurs avancent la place du conseilling et l’incitation au port du préservatif pour les participants. Si, moralement, on ne se résout jamais à savoir que des transmissions auront lieu, scientifiquement, l’usage d’un mode randomisé est parfaitement compréhensible. Mais l’argument selon lequel on ne peut se passer d’un bras placebo car «Se passer d’un bras placebo dans ce cadre risquerait d’allonger considérablement la durée de l’étude et nécessiterait un recrutement bien plus important, sans garantie de démonstration d’un quelconque effet de la PrEP», comme on a pu le lire dans un «argumentaire» interne d’une grande association associée au projet, est un argument difficilement admissible. Accessoirement, la taille de l’essai, directement liée aux moyens, humains et financiers comme à la capacité de recruter, appelle à s’interroger. L’essai prévoit 1.500 participants en prenant compte d’un taux de perdus de vue (participants qui quittent volontairement ou non l’étude) de 20%. Par comparaison l’essai iPrex sur une administration quotidienne de Truvada aux USA et en Amérique du Sud compte 3.000 participants, l’essai vaccinal thaïlandais comptait 16.000 volontaires sur 3 ans. Aussi, au final, la cohorte envisagée est-elle suffisante pour obtenir, in fine, des résultats significatifs même en cas de moindre efficacité de la combinaison thérapeutique que celle présumée et de pleine efficacité, a contrario, des conseils de préventions fournis aux participants ?

Mais cette question du bras placebo n’est pas la seule sensible aux questions éthiques. Ainsi, que penser de l’administration d’ARV à des personnes séronégatives en parfaite santé alors même que les deux tiers des séropositifs dans les pays pauvres ne disposent pas de traitements qui relèvent d’un impératif vital ? Que penser d’un mode de prévention qui risque, même dans sa forme intermittente, de se révéler couteux, et faire ainsi des PrEP une prévention de riches pour laquelle les plus pauvres, souvent les plus fragilisés, ne pourront être bénéficiaires ? Dans le cas hautement improbable où la collectivité, la sécurité sociale, assumerait le coût financier des PrEP, serait-ce normal que dans le même temps les préservatifs restent exclus de cette prise en charge ? Enfin, sur l’essai proprement dit, si un participant du groupe placebo pour lequel on sait qu’il ne bénéficie d’aucune barrière chimique supposée ou physique, le préservatif, se retrouve avoir eu une relation sexuelle risquée effective, est-ce qu’un Traitement Post Exposition (TPE) lui sera proposé ? Sera-t-il sensibilisé sur cette possibilité avant l’essai ? Si non, comment justifier le fait de s’opposer à la possibilité d’avoir recours à un traitement post-exposition pour lequel, même si les études sont insuffisantes, on sait la capacité à empêcher la conversion ?

L’i-PrEP ne répondra ni aux écueils propres à la prévention ni à ceux propres aux traitements
A la seule lecture du taux estimé d’efficacité, l’i-PrEP est un mode imparfait de prévention et nettement inférieur au préservatif. Alors en quoi l’i-PrEP constituerait un mode nouveau de prévention ? Outre le fait qu’il doit apporter un bénéfice avéré et permettre une moindre incidence du Vih au sein de la population bénéficiaire, une grille de lecture permettant d’en mesurer le bénéfice est de voir si l’i-PrEP répond aux écueils présents en matière de prévention comme, du fait de son mode d’administration, si elle répond aux écueils propres aux ARV.

Et bien, dans les deux cas, cela semble bien incertain alors même que les initiateurs avancent pêle-mêle «la bonne tolérance de l’intervention et l’absence de modification du comportement sexuel», la «meilleure adhérence à ce type de traitement, meilleurs rapports efficacité/tolérance et coût efficacité potentiels». Ainsi, une étude (Anglais) récente montre les limites à faire des PrEP un mode de prévention comme la possibilité pour les PrEP d’enrayer la progression de la prévalence au sein de la communauté homosexuelle.

Mais encore, comment croire que les homosexuels qui peinent à maintenir dans le temps l’usage du préservatif sauront mieux maintenir l’observance d’une prise médicamenteuse ? Egalement, de bonne foi, les partisans des PrEP avancent qu’il ne s’agit pas de demander aux participants à l’essai de s’exposer à un risque plus important que dans leur vie antérieure, la seule existence du groupe placebo, indépendamment des conseils de préventions délivrés, devant les sensibiliser sur ce point. Pour autant, si les PrEP sont admises un jour comme mode de RDR, comment croire que ses bénéficiaires ne l’utiliseront pas comme un mode de prévention autonome et unique, l’indication, même partielle, d’une efficacité préventive laissant supposer qu’une exposition au risque sera sans conséquence ou d’importance moindre ? Pire, cette utilisation augmentera-t-elle les expositions par une croyance de protection en cas de rapport à risques, la relation sexuelle étant moins planifiée que la prise de risques proprement dite ? Quelles résistances des personnes sous PrEP pourraient développer en cas de contamination ? La seule indication, comme a pu le faire le professeur Molina dans une interview, d’alternatives thérapeutiques est un argument mince. Quid des mutations du virus même générées potentiellement par les PrEP ? Egalement, que penser des effets indésirables à court, moyen et long terme, de la prise médicamenteuse d’ARV par des personnes en parfaite santé ? Quid des coïnfections pour lesquelles les PrEP sont indifférentes et qui sont pourtant un facteur augmentant le risque de contamination au VIH ?

PrEP, politiques de RDR sexuels et autres incitations à faire du traitement un mode de prévention sont le reflet de modes croissantes de trouver de nouveaux axes de prévention. Le constat d’un échec partiel d’enrayer la progression de la pandémie par la seule incitation à l’usage du préservatif incite à explorer de nouveaux horizons. Par ce que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, indépendamment des PrEP, d’autres leviers puissants permettent déjà de lutter contre cette expansion de l’infection. Oui, on peut se féliciter de vouloir généraliser, systématiser, pérenniser, répéter et diversifier le dépistage avec des bénéfices individuels évidents et collectifs assurés. Oui, une mise sous traitement plus précoce aura tout autant des effets positifs. Oui, une sensibilisation sur les primo infections et leurs dépistages sont absolument nécessaires. Oui, une large campagne d’information sur les TPE et la mise en place d’études sur leur efficacité, doivent être faits. Oui, le conseilling doit être généralisé alors qu’il n’est jamais dans les faits offert aux HSH, faute de moyens, faute de formation des généralistes, faute de sensibilisation. Sur le sujet, à l’instar de l’essai thaïlandais et comme à chaque fois dans des études, on verra une nouvelle fois à l’issue de cet essai des taux d’incidences, même dans le groupe placebo ,significativement plus faibles que ceux des études épidémiologiques par le seul bénéfice du conseilling. Et enfin, oui, comme le rappelait Têtu dans sa campagne d’affichage, «La capote protège du Sida» et espérons ne pas avoir à initier une campagne «La capote protège ENCORE du Sida».

Aussi, cet essai est source de nombreuses interrogations et le seul fait de les poser est un argument pour ses partisans à ce qu’il soit réalisé alors qu’elles peuvent tout autant, pour ses opposants, justifier qu’on s’interroge sur son utilité ou la pertinence de faire des ARV un mode de prévention. Mais au-delà, cet essai comme les dernières données épidémiologiques et autres rapports d’experts et avis, appellent à s’interroger sur le devenir même de la prévention communautaire, pourtant appelée à être renouvelée et renforcée.

A vouloir faire de la Prévention individualisée, elle ne devient plus qu’individuelle
Alors même que dans l’Histoire du Sida, les seules mobilisations payantes ont été celles collectives, la prévention au Vih, à l’instar de nos revendications dites communautaires, se restreint désormais à des aspirations individuelles. Au mieux, la dimension collective et communautaire, s’efface pour des seules aspirations égoïstes, le «JE veux pouvoir baiser sans capote». Au pire, cet individualisme préventif gomme jusqu’au sort de son(ses) partenaire(s) sexuelle(s), donnée qui serait désormais subsidiaire et indifférente au comportement de chacun par un «j’ai pris en charge MA prévention, celle de mon partenaire relève de sa seule responsabilité» .

Sur le sujet du VIH, la population gay est passée d’une population stigmatisée à une population à risques à une population fragilisée pour n’être enfin plus qu’une population fragmentée : fragmentée entre ceux qui se sentent toujours individuellement et collectivement (dans cet ordre) concernés, de moins en moins nombreux, et ceux qui se sentent individuellement interrogés à leur seul bénéfice, au mieux, et ceux qui ne se sentent même pas (plus ?) concernés, au pire.

Que dire, alors même que les dernières données épidémiologiques, enquêtes d’incidences et autres études de prévalence, montrent des taux majeurs et records de contaminations au sein de la communauté homosexuelle, les réactions individuelles à ces données excluant toute responsabilité personnelle dans un cadre collectif ? Par ce que ces chiffres sont insupportables individuellement, il ne faudrait pas collectivement les supporter. A ces résultats, beaucoup d’homosexuels se défaussent et crient à une révélation publique propre à les stigmatiser alors qu’ils ne se reconnaissent pas comme appartenant à cette communauté comptant tant de séropos. L’enfer, c’est les autres, et c’est nouveau concernant la communauté gay. Ses membres se retrouvent dans un cadre communautaire quand il s’agit d’en tirer individuellement un bénéfice (fiscalité pour les pacsés, protection individuelle contre les actes homophobes…) mais rejette toute appartenance communautaire quand il faut se compter en matière de Sida…

Finalement, quand bien même les PrEP constitueraient un mode imparfait de prévention, elles ne répondent que partiellement aux enjeux actuels pas plus qu’aux écueils des modes actuels de prévention. L’utilité des PrEP résiderait dans la seule constatation d’un effet de réduction des transmissions, même limitée dans les faits, dans le temps et pour une population restreinte. Ainsi, les PrEP constituent bien un mode de réductions des risques sexuels plus qu’un mode de prévention en tant que tel. L’admission récente de ces politiques par les pouvoirs publics comme la mise en place de cet essai érigeront les PrEP comme un mode de RDR. Ce sera finalement le temps et l’Histoire, davantage que l’essai proprement dit, qui diront si cet usage d’une Prophylaxie Pré-Exposition était pertinent…

77e Réunion Publique d’Information
Antirétroviraux pour séronegs : une pilule pour prévenir la transmission ?
Mercredi 16 décembre 2009 de 19h à 22h
Centre Wallonie Bruxelles
46 rue Quincampoix – Paris 4e
M° Châtelet-Les-Halles ou Rambuteau.
Entrée libre.

EN SAVOIR PLUS

Sida : se PrEParer à un essai français ? (Partie 1)

Interview sonore de Jean-Michel Molina évoquant les essais PrEP à travers le monde sur le site Actions Traitements : www.actions-traitements.org

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