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Joao Pedro Rodrigues :  »J’ai voulu faire un musical immobile »

Joao Pedro Rodrigues, réalisateur et scénariste portugais, signait il y a deux ans son quatrième film « Mourir comme un homme », l’histoire de la transexuelle Tonia, artiste vieillissante, en fin de carrière dans un cabaret de Lisbonne. A l’occasion de la sortie en DVD de son film (présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2009 (« Un Certain Regard »), il a reçu CitéGAY pour parler de la naissance de se projet, et de sa réalisation …

Tof : Bonjour Joao, merci de m’accueillir pour parler de ton film « Mourir comme un homme », qui vient de sortir en DVD. Pour ceux qui te connaissent mal, peux-tu commencer par me dire comment tu es arrivé au cinéma ?

Joao Pedro Rodrigues : Bonjour Tof … En fait j’ai commencé à beaucoup fréquenter les salles obscures à partir de 15 ans et le fait de voir des films m’a donné envie d’en faire moi-même. J’ai d’abord fait des études de biologie jusqu’à l’âge de 20 ans, puis je suis entré à l’école du Cinéma au Portugal. J’ai ensuite été assistant de réalisation et de montage dans plusieurs films.

Tof : Pour toi le cinéma doit-il être utile ? Commences-tu un film en voulant changer quelque chose au monde dans lequel on vit ?

Joao Pedro Rodrigues : Je pense que tous les films sont fait un peu pour ça … Il s’agit à chaque fois de la vision différente et personnelle de chaque réalisateur sur le monde. Personnellement je ne suis pas très fan d’un cinéma qui est fait juste pour délivrer un message. On ne sait jamais très bien ensuite de quelle manière le film va être compris par le spectateur. En fait lorsque je réalise, je me place moi-même comme premier spectateur. Ce n’est pas que je fais des longs-métrages uniquement pour moi mais au bout du compte il se trouve qu’ils ont beaucoup de choses à voir avec moi. D’ailleurs c’est impossible dans le cinéma ou même dans tout l’art contemporain, de ne pas parler un peu de soi-même … Les films qui me touchent, ce sont ceux qui parlent de choses très personnelles en s’attachant à un personnage en particulier, tout en s’ouvrant sur les autres …

Tof : Le Cinéma pour toi, on peut dire que c’est une sorte de mission ?

Joao Pedro Rodrigues : Hola pas du tout … Ton expression est très messianique ! Moi je ne suis qu’un simple être humain parmi les autres et je fais des fictions. Je pense que ça ne mérite pas de s’appeler « une mission «  !

Tof : Comment t’es venue l’idée du film « Mourir Comme un Homme » ?

Joao Pedro Rodrigues : Tout est parti d’une des scènes qui se passe à la fin de mon film précédent (Odete; Ndlr). Je ne sais pas si tu l’as vu mais on y voit une fille qui est comme poussée par un garçon et ensuite on voit cette même fille qui pénètre un garçon. C’est comme si le spectateur voyait un genre sexuel un peu flottant, qui passe d’un corps à un autre. Cette idée a probablement un peu tout déclenché même si « Mourir comme un Homme » n’a pas vraiment à voir avec ça … Mais c’est ce détail qui m’a fait découvrir ce que serait ma prochaine histoire. J’avais aussi l’idée de faire un hommage à des gens que j’ai un peu croisés mais que je ne connaissais pas vraiment, des travestis chanteurs de cabarets portugais, surtout dans les années 80. J’ai fais un long travail d’interviews afin de réunir un maximum de témoignages. L’histoire est né de tout ça mais elle concerne aussi l’acteur qui joue le personnage principal, parce que lui-même, à la base, est un chanteur travesti … Il est d’ailleurs un peu la star des travestis [Rires] Presqu’aucun des personnages n’est joué par un acteur professionnel. En fait seul celui qui joue Maria Bakker, la femme de la forêt, est un acteur professionnel. Ce personnage pré-existait déjà au théâtre, un peu comme un numéro de cabaret. Et je l’ai un peu adapté, transformé pour qu’il soit dans mon film.

Tof : J’imagine qu’il y a dû y avoir une atmosphère assez pesante durant le tournage …

Joao Pedro Rodrigues : Non, c’était même plutôt joyeux ! Dans la vie l’interprète de Tonia, le personnage principal transexuel, n’est pas du tout sombre comme à l’écran. Pour tout dire on riait même énormément !!!

Tof : Quel genre d’évolution vois-tu au travers de tes films ? Peut-on dire qu’ils sont reliés par une sorte de fil rouge ?

Joao Pedro Rodrigues : Chez moi l’envie de faire un film se déclenche de façon très instinctive, presque pulsionnelle. Il y a des réalisateurs qui vont te dire qu’ils ont beaucoup de projets et plein de scénarii en attente dans un tiroir. Moi c’est l’inverse : Je me demande toujours « qu’est-ce que je vais faire après ? » … C’est pour cette raison que j’essaie d’oublier le film précédent pour repartir sur un autre … Il y a carrément quelque chose de l’ordre du deuil, même si le terme est un peu fort !

Tof : J’ai lu des critiques qui parlent pratiquement toujours du fait que, en racontant l’histoire d’un personnage travesti, tu as réussi à éviter le ridicule. Ne trouves-tu pas que c’est un peu stigmatisant de partir du postulat selon lequel, forcément si on parle de travesti ou de transexuel, on va risquer de basculer dans le ridicule ?

Joao Pedro Rodrigues : Alors tu sais ça, c’est vraiment une idée très généraliste! Personnellement la chose qui me fait le plus peur dans le cinéma c’est le grotesque, mais heureusement je sens toujours quand je m’en approche! C’est comme si je flirtais dangereusement avec une ligne fine et que j’étais toujours prêt à tomber dans un puits qui se trouverait juste après. Je le fuis mais en même temps j’aime ça! De ce point de vue, Maria Bakker, mon personnage de la forêt, a quelque chose de très théâtral de très opposé à Tonia. Et puis aussi c’est un film avec des protagonistes qui appartiennent au monde du spectacle, mais dès le scénario je savais que je ne voulais montrer aucune scène de spectacle …



Tof : Oui c’est assez nouveau d’autant plus dans un film avec des travestis !

Joao Pedro Rodrigues : Tout à fait ! Tu vois par exemple je n’aime pas beaucoup « Priscilla Folle du désert » parce que ça ne me dit pas grand chose. Je voulais plutôt faire un film qui soit un peu le backstage du spectacle … Je pense que beaucoup de monde a déjà vu un spectacle de travestis, je n’avais pas envie d’en rajouter une couche.

Tof : Est-ce que les dialogues et le jeu des comédiens comportent une part d’improvisation ?
Joao Pedro Rodrigues : En fait le film est très écrit mais en même temps j’attends toujours que les acteurs me surprennent. Le but c’est de se servir de ce qui est sur le papier comme d’une piste à explorer. Un film c’est aussi beaucoup de l’émotion, quelque chose d’impalpable. C’est ça que je cherche. En outre, l’écriture reste essentielle. Je m’angoisse énormément si je ne sais pas exactement ce que je vais faire ! [Sourire]

Tof : J’ai l’impression que le film est fait avec un souci d’équilibre. Je le trouve d’une part plutôt sombre mais d’autre part également très coloré, et puis il est bourré de correspondances, de symboles … Le maquillage des soldats, puis le maquillage des travestis ...

Joao Pedro Rodrigues : Oui c’est vrai il y a des objets qui reviennent tout le temps. Je mets un peu les soldats et les travestis sur un pîed d’égalité. D’ailleurs un peu une boutade, je dis régulièrement que « Mourir comme un homme » est un film de guerre … C’est effectivement l’histoire d’un personnage qui combat et qui a combattu toute sa vie. Le personnage du fils de Tonia est très important aussi et j’ai voulu qu’il ait un rôle un peu spécial. C’est un personnage qui existe mais qui disparaît tout le temps, un peu comme un fantôme, ou même comme si c’était une incarnation de Tonia elle-même. Ca permet au spectateur de se questionner sur le passé de l’artiste travesti, et de se dire qu’au moment où elle a fait l’armée, comme son fils, elle a eu un problème avec sa sexualité.

Tof : Il y a un certain flou autour de l’époque durant laquelle se passe l’histoire…

Joao Pedro Rodrigues : Ca se passe de nos jours ! Mais ça parle aussi d’un monde du spectacle qui appartient déjà un peu au passé, et qui est en train de changer … Je voulais parler de la grandeur passée d’une star de show de travestis, une star des années 80 bien que le film se déroule à notre époque.

Tof : Comment ça se passe aujourd’hui pour un transexuel au Portugal ?

Joao Pedro Rodrigues : Et bien on avait une loi qui devait permettre aux transexuels de changer de nom, approuvée par notre gouvernement, mais ensuite notre président a mis son veto. La loi n’est pas passée. C’était un acte politique parce qu’il visait la ré-élection. Dans un premier temps il avait laissé passé le mariage gay, provoquant la colère de la Droite. Les choses évoluent, mais on pourrait dire que la question des transexuels est celle qui évolue le moins vite. En même temps ce serait une erreur de décrire le film comme un portrait de la transexualité. Il faut dire que j’ai interviewé surtout des gens très jeunes qui ont des histoires plutôt heureuses, des gens qui ont eu des opérations à 20 ans, qui ont bien sûr connu des problèmes mais sans aller vers le tragique. Bien sûr que le film est inspiré d’histoires tragiques mais il n’y a pas que ça non plus. Et puis mon histoire est avant tout une fiction.

Tof : J’ai été vraiment surpris de voir à quel point la religion est une véritable pression sur les épaules des portugais …

Joao Pedro Rodrigues : En tout cas le fait que Tonia ne veuille pas changer definitivement de sexe à cause du poids de la religion est inspiré de l’ histoire vraie de quelqu’un qui a préféré être enterré comme un homme …

Tof : Le film parle surtout des transexuels M to F, c’est-à-dire des hommes qui deviennent femmes. As-tu été tenté de parler des transexuels F to M, les femmes qui deviennent hommes ?

Joao Pedro Rodrigues : Oui j’en ai également interviewés, mais par rapport à l’histoire que je voulais raconter ça n’a plus eu d’utilité ensuite … En fait je me suis mis en contact avec un hôpital dans lequel on voit des personnes qui souhaitent une opération. Il m’ont raconté leur histoire mais je ne pouvais pas la raconter car mon idée ce n’était pas de raconter le parcours de quelqu’un en particulier .

Tof : D’une certaine manière tu es devenu reporter … Je trouve d’ailleurs que le film a par moment une dimension documentaire notamment au début, ou avec un pliage de papier on nous explique comment on procède pour transformer un sexe masculin en sexe féminin …

Joao Pedro Rodrigues : En fait c’est une scène inspirée d’un entretien que j’ai réellement eu avec un médecin, qui m’a expliqué comment ça se passe avec un papier. Je suis effectivement parti de quelque chose de l’ordre du documentaire pour en faire une fiction. Cette explication m’avait même paru assez drôle en fait … L’idée de simplifier une chose qui est tout sauf simple, j’avais trouvé ça intéressant ! Placée juste après la scène de violences entre soldats, cette scène peut être ressentie comme violente, parce qu’il ne faut pas perdre de vue que la démarche de changement de sexe reste une expérience très violente.



Tof : En parlant de violence … Sais-tu ce qu’il est advenu suite à l’agression des actrices du film lors de votre passage à Paris Il y a deux ans ?

Joao Pedro Rodrigues : C’était vraiment un mauvais plan ! Elles n’en revenaient déjà pas d’être allé au festival de Cannes et je me souviens qu’elles étaient tellement heureuses d’être à Paris pour la première fois ! On est allés avec Daniel au-dessus du parc de Belleville pour voir la vue et il y a des mecs qui nous sont tombés dessus. Il y a eu des manifestations et des rencontres organisées tout de suite après. On a porté plainte mais ensuite j’ai dû m’en aller et je ne sais pas ce qu’est devenue cette affaire.

Tof : A part le top model Lea T qui a récemment fait la couverture d’un magazine en embrassant Kate Moss, la députée Vladimir Luxuria, souvent moquée en Italie ou Dana International, cantonnée au monde du spectacle et de l’Eurovision, les médias en général ne renvoient pas une image très positive des transexuels. Qu’en penses-tu ?

Joao Pedro Rodrigues : Tu sais je pense qu’en fait la plupart des personnes que j’ai interviewées aspirent plutôt à une certaine forme d’indifférence. Bien sûr avec un manque de représentation dans les madias et donc un manque de repères, beaucoup sont obligés de tomber dans la prostitution. Mais lors de mes interviews j’ai aussi eu à faire à une personne de l’âge de Tonia qui travaillait dans une usine. C’est très rare et il faut le souligner … C’est vrai que ce n’était pas glamour comme de travailler dans le milieu de la mode mais tout de même elle travaillait depuis longtemps dans cette usine et on l’acceptait !

Tof : La couleur a une place très importante dans ce film, beaucoup de rouge comme dans les films de Pedro Almodovar par exemple …

Joao Pedro Rodrigues : Oui enfin ce n’est pas le seul à utiliser beaucoup de rouge dans ses films [Rires] Je suis plutôt inspiré par les films des années 50. Mais bien sûr Almodovar est quelqu’un qui pense au genre classique du cinéma et qui le retravaille. Il a aussi une affection particulière pour le mélodrame, mais c’est quand même plus axé vers la comédie …

Tof : Et si je te dis qu’à partir de la moitié du film j’ai vu une espèce de référence à David Lynch ?

Joao Pedro Rodrigues : C’est vrai que d’un seul coup on bascule dans une atmosphère étrange et irréelle. David Lynch c’est aussi quelqu’un que je respecte, mais si tu y as vu une référence ce n’était pas vraiment voulu … [Sourire] Toujours pour l’image, j’ai peut-être été bien plus influencé par la peinture italienne du 16ème siècle. J’aime beaucoup le cinéma muet aussi …

Tof : Et puis la notion de temps est traitée d’une façon presqu’inédite. Je pense à cette scène en plan séquence, très longue, où le film à l’air suspendu durant une chanson interprétée en intégralité … presqu’une interlude … Pourquoi avoir choisi d’utiliser cette séquence ?

Joao Pedro Rodrigues : Ca a été décidé et écrit dès le départ. Je voulais utiliser une chanson qui ait une signification particulière pour Tonia. Je voulais que cette scène soit décisive et se passe dans la forêt. Un déclic qui fasse qu’à partir de ce moment là elle ait envie de partir. J’ai découvert la chanson jouée par Baby Dee, une chanteuse transexuelle qui a travaillé avec Antony and the Johnsons. Cette chanson est vraiment très belle. D’une certaine manière j’ai voulu que ce film soit comme un musical de chambre. Avec cette séquence l’idée était de faire un musical à l’envers. Dans un musical traditionnel on danse on chante, on bouge, la caméra bouge, moi j’ai voulu faire un plan fixe, avec une chanson et des personnes immobiles, presqu’un film muet ! [Rires] Un peu comme un tableau aussi, le « Déjeuner sur l’herbe » par exemple, mais l’idée c’était vraiment de faire un musical immobile !

Tof : Le chien de Tonia, l’animal en général, a une place particulière dans ton film …
Joao Pedro Rodrigues : Oui dès mon premier film, je montrais un garçon qui était toujours avec son chien . Il faut dire que c’était quand même un film sur l’animalité du désir. Là l’idée c’était de faire un contre-poids par rapport aux personnages, comme pour les dédoubler … Et puis bien sûr il y a tout un symbole lié au poisson, lié à Rosario (le fils de Tonia; Ndlr) , qui se sent enfermé dans sa cage ! D’où la protection de Tonia et cette idée de casser l’aquarium …

Merci pour cet entretien Joao ! Une sorte d’exploration du « making-of » de Mourir comme un Homme, à recommander, à s’offrir et à offrir en DVD…




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