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Patricia Kaas : S’il fallait le faire possède à la fois un coté français traditionnel mais aussi une certaine modernité

Ce n’est pas tous les jours qu’on a rendez-vous avec LA chanteuse française qui s’exporte le mieux à l’étranger! La journée est plutôt belle et je me sens assez détendu sur le chemin du sympathique restaurant-club de jazz « Autour de Midi… Et Minuit » de la rue Lepic (18ème)où nous devons nous rencontrer. L’endroit est situé non loin du fameux café qui a servi de décor au « fabuleux destin d’Amélie Poulain », ce qui ne gache rien à l’affaire … Pour une fois me voici avec un quart d’heure d’avance, juste le temps de faire connaissance avec le responsable de la promo-web de Patricia et le propriétaire de l’établissement. Je lui explique qu’interviewer Patricia est un peu spécial pour moi, vu qu’elle est originaire de l’Est de la France, tout comme moi, et que fatalement ses disques ont une place importante dans la discographie familiale. Je tourne la tête distraitement et remarque la voiture arrêtée au milieu de la route, d’où descend silencieusement la belle Patricia, très glamour. Son petit chien blanc semble lui montrer la voie. Nous nous serrons la main en souriant puis pénétrons dans le restaurant, direction le « bar à jazz ». Le temps que Patricia pose ses affaires, nous pouvons commencer l’entrevue …

Tof : Bonjour Patricia, c’est un immense plaisir de te retrouver.Ton spectacle et ton album son vraiment de très grande qualité. Peut-on dire qu’il s’agit là d’une sorte de retour aux sources ?
Patricia Kaas :
Houla écoute en fait j’ai l’impression que ça s’est vraiment fait par hasard, sans réflexion préalable. L’idée du thème « Cabaret » est arrivée avec mes premiers choix de chansons. Je me souviens d’ailleurs que « Das Glück Kennt Nur Minuten » était mon tout premier choix. Cette chanson allemande est alors devenue « La chance jamais ne dure ». C’est vraiment avec ce titre que j’ai pris conscience que le disque allait prendre la direction plutôt Cabaret Berlinois, jazz etc … Après on s’est rendus compte que dans ces années là il y avait aussi beaucoup d’autres musiques, comme par exemple le tango de Buenos Aires. Ca se retrouve donc aussi sur le CD. Ce n’est pas la première fois qu’on me dit que ce projet ressemble un peu à ce que je faisais à mes débuts. Je peux tout à fait le comprendre parce que quand on a repensé les arrangements des anciens titres, comme « Mon mec à moi » ou « d’Allemagne » par exemple, on n’a finalement pas touché à grand chose, à part bien sûr le son et les intros, pour obtenir une atmosphère un peu cinématographique et théâtrale.

Tof : C’est marrant ce que tu dis là, car on a vraiment l’impression que l’album a été écrit simultanément avec l’idée du spectacle. Je me suis même dit que ça pouvait être le point de départ d’une comédie musicale …
Patricia Kaas :
Et bien non ! [Sourire] Au fur et à mesure de l’enregistrement des chansons sont venues les idées. Tanguy Dairaine, un des producteurs de l’album, a ensuite proposé des choses un peu particulières. Tout est né d’un partage d’idées mais il faut bien dire qu’au début on ne savait pas trop où on allait. Maintenant qu’on a déjà joué environ 70 fois le spectacle, je commence à me dire « Houla, l’après Kabaret, ça va être quoi ? » Je pense que pour le coup, là ça va être bien réfléchi … Cette fois j’aurai vraiment envie de lier la scène à la conception de l’album, encore davantage !

Tof : Pourquoi avoir attendu 5 ans entre l’album précédent et celui-là ?
Patricia Kaas :
[Rire] Alors en fait il n’y a pas 5 ans… C’est vrai que j’ai sorti Sexe Fort en 2003, et puis ensuite je suis partie en tournée pendant 2 ans. J’ai terminé en 2005 après environ 170 concerts, et puis j’ai pris 2 ans pour souffler. Je ne sais pas pourquoi j’ai décidé cela alors que jusqu’à présent, pendant 20 ans, j’avais l’habitude d’enchaîner albums et concerts. C’est peut-être lié à mes 20 ans de carrière ou au fait que j’avais 40 ans à ce moment là, mais j’avais vraiment besoin de souffler, sans savoir si ça allait me prendre 3 mois, 10 mois ou 2 ans… Après quand le projet commençait à prendre forme, qu’on avait les images de la scène, on a senti l’excitation monter, mais bon c’est vrai qu’au début il a quand même fallu un peu me bousculer [Sourire].


Tof : Peux-tu revenir sur la façon un peu particulière dont est sorti l’album ? Tu as quitté Sony, « Kabaret » est ensuite sorti sur un site internet de ventes privées, et maintenant j’apprends que tu es chez Universal …
Patricia Kaas : Et bien en fait le début de l’enregistrement a coïncidé avec toute une période de restructuration dans les maisons de disques, et du coup c’était un peu compliqué. Quand tu es un artiste et que tu fais un album, tu es toujours un peu stressé par la maison de disques qui te demande d’envoyer les chansons. Après il n’y a plus beaucoup de motivation, parce que souvent l’interlocuteur ne sait pas s’il restera dans la boîte. Moi j’utilise beaucoup Internet et Itunes, même pour chercher des idées de chansons, du coup on s’est dit : « Tiens, pourquoi ne pas sortir l’album sur le web ? » Il y a eu cette proposition du site de vente-privee.com, qu’on a ressentie comme quelque chose de flatteur parce que c’est quand même un site assez prestigieux. On s’est donc lancés comme ça. Entre temps l’album devait sortir dans le commerce, mais ça a trainé. Finalement on a produit nous-mêmes l’album, ce qui est quand même un atout. C’est facile de dire « je sors l’album sur Internet » , il faut aussi une certaine liberté. Sur Vente-privee, le disque coutait 6 euros, ce qui permettait au plus grand nombre de pouvoir se l’acheter.

Tof: Mais du coup on a dit qu’il était bradé …
Patricia Kaas : Pffff, peu importe comment on l’appelle … Ce qui est sûr c’est qu’un tout nouvel artiste n’aurait pas pu se permettre de faire ça. Moi je pouvais parce que j’avais 20 ans de carrière derrière moi, et que mine de rien cela représente beaucoup de frais d’enregistrement etc…, et puis quand tu es dans une maison de disques c’est carrément impossible ! Il faut aussi bien voir que maintenant je suis uniquement distribuée chez Universal. On a tout de même produit notre album, ce qui permet une liberté intéressante, dans le style de ce qu’on a fait avec vente-privee ou par exemple si on voulait décliner l’album sur un service de téléphonie.

Tof : La date de l’Eurovision approche… Comment cette histoire est-elle venue sur le tapis ?
Patricia Kaas : Mais oui c’est vrai que c’est pour bientôt ! [Sourire] En fait il se trouve que France Télévision m’a posé la question. Pour tout dire, moi aussi j’ai été surprise, mais en même temps je trouve ça bien, parce que ça fait 22 ans que j’emmène ma musique à travers le monde, et qu’avec cette proposition on me donne le titre d’ambassadrice de la chanson française. Il y a le challenge certes mais il y a aussi le choix de la chanson. « S’il fallait le faire » m’a été demandée. Il s’agit d’une chanson que j’adore et que j’avais choisi pour mon album, qui par ailleurs a été fait d’une façon différente par rapport à d’habitude. C’est une chanson qui possède à la fois un coté français traditionnel mais aussi une certaine modernité dans les sons, ce que je trouve important. Après c’est vrai qu’on peut me dire « Tu n’as pas peur ? parce que l’Eurovision c’est souvent des chansons un peu plus rapides », mais j’ai regardé un peu ce que faisaient les autres pays et il y a quand même trois ou quatre chansons un peu lentes. Pas énormément c’est vrai, mais tu sais, de mon expérience, quand tu parles de chanson française à l’étranger, tous vont te parler d’une musique où il y a du romantisme et de l’émotion. Mon titre correspond bien à cette idée ! Le concours va se passer à Moscou, ce qui me garantit une bonne ambiance, mais ce n’est pas ça qui va faire que je vais gagner, étant donné que le public de la salle, n’aura pas le droit de voter. Bien sûr que je suis populaire dans beaucoup dans les pays de l’Est, mais je me dis aussi « Fais gaffe, lorsque tu as le choix entre faire gagner un footballer qui ne joue pas dans ton équipe et un footballer qui joue dans ton équipe, tu préfères quoi ? » J’ai remarqué aussi pas mal de coïncidences. Par exemple la salle dans laquelle va se dérouler l’Eurovision, est aussi la toute première où j’ai chanté en Russie. Le 16 Mai correspond bien sûr à la date anniversaire du décès de ma maman. C’est pour cela que j’avais d’abord refusé de participer. Bref, il y a eu plein de signes qui m’ont fait sentir qu’il fallait y aller, avec en plus une bonne dose de culot, parce que l’Eurovision aura toujours ses détracteurs, qui pensent que c’est ringard. mais en fait si tu regardes bien il n’y a que la France ou des pays genre la Suisse Romande pour penser cela. D’un autre coté tu as toute la communauté gay qui adore, et même certains intellos un peu branchés, alors …

Tof : En ce moment, avec Julien Doré et Philippe Katerine par exemple, on sent justement une sorte de volonté de désacraliser le ringard …
Patricia Kaas : Oui, ce que fait Katerine, à part son look tout rose, je touve que c’est intéressant, Doré aussi … Franchement il y a des choses qui me touchent moins dans la jeune génération. La semaine dernière je me suis retrouvée par hasard devant Nouvelle Star, et je me suis dit « tiens celui-là on dirait Plastic Bertrand », ou encore « Tiens, cette fille avec des lunettes, si elle n’avait pas 18 ou 20 ans et si elle n’étaitpas dans ce programme, on trouverait ça lourd, et elle se ferait casser mais à donf ! » Ca m’a rassuré pour mon passage à l’Eurovision !


Tof : Petite question un peu délicate : Tu n’es pas sans savoir que depuis plusieurs années , les Gay Prides sont interdites à Moscou, et donnent souvent lieu à des affrontements entre civils et policiers … Etant une artiste appréciée des gays mais aussi très populaire en Russie, penses-tu pouvoir profiter de l’Eurovision pour délivrer un message sur ce sujet, ou est-ce que l’engagement n’est pas un truc d’artiste ?

Patricia Kaas : [Embarrassée] Oui j’ai vu qu’il y a des problèmes en effet… C’est difficile, tu sais. Est-ce que je peux m’engager ? Je ne crois pas, parce que je ne me suis jamais engagée dans quoi que ce soit. C’est facile d’être là en tant qu’artiste, et de chanter ou de faire un cd, mais taper sur la table et parler d’un sujet important c’est une autre paire de manches! Je ne connais pas suffisament le problème pour cela … Il y a une vraie prédominance du coté macho en Russie, alors que paradoxalement, quand tu sors dans le monde de la nuit, c’est quand même très gay … S’ils refusent des événements aussi importants que la Gay Pride, qui réunit beaucoup de monde, cela traduit à mon avis une peur de voir des problèmes de sécurité avec tous mecs très machos justement … On peut bien sûr se dire que cette raison invoquée est juste un prétexte d’interdiction. Honnêtement je n’en sais pas plus, mais connaissant le coté « hétéro extrême » des russes, je trouve que ça pourrait être plausible. Enfin tu sais, ce que je vois des pays que je traverse, ce sont surtout les aéroports !

Tof : Cette prestation à l’Eurovision, cela représente plus de pression que pour un concert normal ?
Patricia Kaas : Pour l’instant non. Je dis à mon entourage de ne pas stresser, et j’ai décidé d’aborder la chose tranquillement. Pour moi c’est tout simple : je vais faire ma chanson sur une scène sans me dire qu’il y a tant et tant de gens qui vont me regarder, et qu’il y a un enjeu, même si je le sais. Au début lorsque la nouvelle est tombée, je n’ai pas dramatisé plus que ça, et puis de plus en plus, au fur et à mesure que la date approche, c’est autour de moi que ça s’agite, de la mamie de 80 ans au petit mec de 25 ans, qui me disent « Tu vas gagner » , « On est avec toi » , ou encore : « Vous allez bien défendre la France, hein ? » Après tu as carrément des gens qui se donnent rendez-vous dans un bistro le soir du 16 Mai pour suivre l’événement en direct. Et là je dis « Arrétez parce que là vous allez vraiment commencer à me stresser! C’est pas du football quand même ! » [Rires]

Tof : Revenons à l’album … Il y a la chanson « Solo » qui m’a un peu interpellé. Est-ce qu’elle parle des femmes battues ?
Patricia Kaas : Ah non … Enfin on pourrait l’entendre comme ça, mais là on parle quand même plus de l’acte sexuel, quelque chose de très passionnel ! Le sujet c’est vraiment le fait de rencontrer une personne tout en sachant qu’on va craquer pour elle, mais où la liaison n’est pas possible, à cause notamment de problèmes de différences…

Tof : Le live de l’album semble avoir été enregistré pour retranscrire réellement l’impression du concert en direct, avec même le message de présentation en voix-off. Pourtant l’ordre des chansons a été changé …
Patricia Kaas : En fait on n’a pas pu mettre l’intégrale à cause de l’espace disponible sur le CD. J’ai donc enlevé 3 ou 4 chansons, et pour qu’il y ait le même rythme que dans le spectacle j’ai juste déplacé « Les hommes qui passent » , que j’ai mis en deuxième position. Mais sinon c’est le même ordre …

Tof : La version des « Hommes qui passent » bénéficie en live d’une réorchestration un peu trip-hop. Penses-tu que ta musique pourrait dans l’avenir, plus s’orienter vers l’electro, ou alors le funk ou le R’n’B, qui sont assez proches du jazz ?
Patricia Kaas : C’est vrai que sur l’album, certaines chansons, pas forcément celles qu’on joue sur scène, mais comme « Mon Piano Rouge » , avaient ce son un petit peu « electro » , qui est un peu plus marqué dans le spectacle. L’intro de « Mademoiselle chante le blues » , qui est mon passage préféré, c’est aussi tout à fait ça. Et bien écoute c’est bien probable parce que je m’éclate vraiment avec ce spectacle sur scène et en même temps ce style d’arrangement ne dénature pas les chansons. Il y a un ou deux parti-pris, qui sont « Je voudrais la connaître » , et « entrez dans la lumière », car pour moi « Entrez dans la lumière », c’était quelque chose que je voulais comme ça. C’est vraiment l’idée de la vie et de la mort, et j’avais envie de ces espèces de gospels et de sons de clochers. « Je voudrais la connaître » c’est une orchestration très pop à la base. Pour une orientation plus électro, c’est possible … Mais par contre le Funk ou le R’nB je n’aime pas trop ça, et puis je ne pense pas avoir le groove nécessaire…

Tof : Merci Patricia de m’avoir consacré un peu de ton temps précieux. On a bien compris que tu en avais un peu marre des signes de soutien pour ton passage à l’Eurovision, donc je ne vais rien te dire de la part des internautes de CitéGAY mais bien entendu le coeur y est. Pour patienter jusqu’au 16 Mai on a toujours la possibilité d’aller t’applaudir en concert, ou d’écouter le double CD « Kabaret sur scène » …

Clip de « Et s’il fallait le faire » :



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