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Kiappe : Je n’ai jamais aimé les premiers de la classe

L’appréhension d’une nouvelle interview est toujours un peu bizarre, comme un rendez-vous qui n’aura rien de naturel, et dont le succès sera conditionné par la présence de feeling, ou pas . Il se trouve que cette fois je m’apprête à accueillir un jeune homme qui se revendique « Mal élevé », en tout cas c’est le titre de son album, et qui écrit des textes plutôt sulfureux. Va-t-il se comporter comme un voyou ou être adorable ? Suspense … Alors que je finis de réunir questions, stylo, marqueur et dictaphone, le voila qui apparaît sur le pas de la porte, ponctuel, et tout sourire. C’est sûr, on va passer un bon moment .

Tof : Salut Kiappe, merci de me consacrer un peu de ton temps à la veille de la sortie de ton remarquable premier album intitulé Mal élevé . Tout d’abord peux-tu me raconter un peu qui tu es et d’où tu viens ?
Kiappe :
Bien sûr ! En fait, je viens de Corse, et je suis arrivé à Paris à 21 ans, pour faire du théâtre. J’en ai fait pendant 5, 6 ans, avant de me mettre sérieusement à faire de la musique, car je me suis en fait toujours senti avant tout musicien. Au théâtre, j’ai rencontré des textes magnifiques, de Koltes à Guibert, des auteurs qui m’ont définitivement donné l’amour des mots. On peut dire que d’une certaine façon j’essaie de réunir l’univers du théâtre et celui de la musique. Je me sens en tout cas plus chanteur-comédien que l’inverse.

Tof : J’imagine qu’auparavant tu avais opté pour des études artistiques .
Kiappe :
Non non, pas du tout ! En fait le théâtre m’a fait patienter car c’était galère de se lancer seul dans la musique. J’ai d’abord commencé par travailler les mots, pus j’ai pu prendre des cours de MAO (Musique Assistée par Ordinateur), et avec l’arrivée des home-studios, j’ai commencé à bidouiller les sons chez moi .

Tof : Dis-moi, est-ce que tu te souviens du déclic qui t’a donné envie de faire de la musique ?
Kiappe :
Heu ouais, ça doit être Freddie Mercury en porte-jaretelles à Wembley, en train de chanter We are the Champions ! [Rires] Le ton libertaire et l’idée qu’avec la musique on peut tout dire et tout faire passer, comme l’a pu faire aussi David Bowie ou d’autres artistes actuels, ce ton là me séduit énormément !

Tof : Le très électro X raisons, véritable hymne à la sodomie, est bien parti pour nous faire bouger sur les dance-floors. D’où t’es venu l’idée d’une telle chanson ?
Kiappe :
[Eclats de Rire] Et bien j’avais envie d’un titre assez club, drôle et ludique. Et puis dans les hymnes à la sodomie il y avait Pile ou Face de Corinne Charby, et j’avais envie de passer derrière [Sourire]

Tof : Est-ce que tu n’as pas peur d’être catalogué Chanteur gay ?
Kiappe :
Mais je ne comprends pas . Non je ne peux pas avoir peur de ça ! Je n’ai pas peur d’avoir des étiquettes. C’est comme avoir peur d’être un chanteur hétérosexuel, enfin non, non, non ! Ca ne me pose aucun problème et puis je m’assoie un peu sur les étiquettes, je m’en fous un peu !


Tof : Même s’il a été réalisé par une de tes amies, je trouve que le clip de La chanson de Julie, premier single issu de Mal élevé, montre que tu es aussi très attentif à l’image .
Kiappe :
C’est une vraie passion oui ! D’ailleurs tu trouveras des références à l’image un peu partout dans ce que je fais. Les oreilles de lapin de la pochette de l’album par exemple, c’est une référence à Gummo, un film d’Harmony Korine, qui est aussi le scénariste de Larry Clark et de Kids. C’est vrai que le septième art m’inspire vraiment beaucoup. Pour la photo, je voulais par contre quelque chose qui soit dans l’esprit de ce que fait Terry Richardson, c’est-à-dire des instantanés pris en flash un peu au vif. J’adore !

Tof : Ca n’a pas dû être facile de le réaliser avec juste un téléphone portable !
Kiappe :
Tu m’étonnes ! [Rires] Ce qui a vraiment été casse-tête, c’était de trouver des plans un peu esthétisants, parce qu’il faut bien le dire : on a vite l’air horrible avec ce genre de matériel [Rires]. Je dirais même plus : On n’est pas mis en valeur une seconde ! [Rires]. Ca a quand même été une super expérience même si le montage était compliqué, vu la mauvaise qualité des roughs. En plus, le clip a été sélectionné pour le festival Pocket Films ! Lorsque je le projette derrière moi en concert, je trouve que c’est assez joli, justement du fait qu’il est de très mauvaise qualité. Ca lui donne un côté intemporel, un peu comme s’il était filmé en 8 mm.

Tof : Qu’est-ce qui te touche dans les mots de Guibert, Koltès ou Gainsbourg ?
Kiappe :
Je pense encore une fois que c’est le ton libertaire. Moi je craque quand le propos est libre ! Je suis aussi fan de Bowie et Lou Reed pour ça !

Tof : Parle-moi du contenu de cet album. On a l’impression que le thème de la contradiction y est omniprésent .
Kiappe :
Mais ça c’est tout moi ! Appelle-moi « Contradiction » tiens, ça me va tout à fait ! [Rires]


Tof : Pourquoi avoir choisi le titre Mal Elevé, c’est un règlement de compte avec tes parents ?
Kiappe :
Pas du tout ! Je voulais surtout garder un côté un peu enfantin, un peu gauche.

Tof : Puis-je y voir le journal de route d’un jeune provincial qui déboule à Paris . ?
Kiappe :
Oui tout à fait, et c’est complètement autobiographique, sauf La chanson du dandy, qui s’appelait Electrofuck dans un premier temps. Celle-ci est plus dans la caricature.

Tof : En même temps il y a une bonne part de fantasme ?
Kiappe :
Oui bien sûr, mais avant tout c’est un titre que j’ai voulu très cinématographique, comme le portrait d’un dandy parisien, qui se laisse un peu vivre. Attention l’allusion à la drogue est surtout là pour appuyer le propos. Je ne suis pas là pour inciter à quoi que ce soit !

Tof : Est-ce que ton arrivée à Paris a été synonyme de perte de repère ou de rupture. Y a-t-il eu un moment où tu t’es senti mal ?
Kiappe :
Oui complètement bien sûr ! On peut même dire que je me suis perdu, mais j’ai envie de dire que c’était nécessaire, car pour se trouver il faut quelque fois en passer par là et t c’est vrai pour beaucoup d’entre nous. C’est un peu l’idée de tomber pour mieux se relever . C’est une chute que j’ai écrit et mis en musique, mais j’imagine que tout le monde peut s’y retrouver ! Quand des personnes écoutent l’album, elles sont plutôt touchées par son côté sombre. Mais moi dans ma phase de création, je ne porte pas de jugements sur les textes qui naissent. Ce sont des tranches de vie mises bout-à-bout, et dans lesquelles on trouve fatalement de la tristesse et des moments sombres, mais aussi des instants plus gais, plus festifs et plus joyeux.


Tof : Est-ce que tu trouves qu’il y a quelque chose d’esthétique dans la déchéance ?
Kiappe :
Oui assez ! Dans le cinéma j’ai toujours été fasciné par des réalisateurs, souvent américains indépendants qui travaillent là-dessus. C’est quelque chose qui me fascine beaucoup. Et c’est un peu dans cet esprit que j’ai voulu creuser le portrait du Dandy .

Tof : On peut dire que Mal Elevé est le disque d’un anti-héros. Qu’est-ce qui te touche dans ce genre de personnage ?
Kiappe :
Les héros c’est un peu chiant non ? [Rires] Moi ce qui m’intéresse ce sont les failles . Je n’ai jamais aimé les premiers de la classe, mais plutôt ceux qui sont au fond. C’est une toute autre humanité !

Tof : On te sent assez tourmenté, un peu à la manière d’un Baudelaire des temps moderne .
Kiappe :
Waouh merci ! J’imagine que ça doit venir de l’enfance, et puis bien sûr de mon parcours et de ce que j’ai pu vivre ces dernières années. Encore une fois, l’album peut paraître sombre comme ça mais je ne suis pas malheureux dans ma vie. Je ne me considère pas « mal dans ma peau » si c’est ce que tu veux savoir.

Tof : Pourquoi avoir choisi La Chanson de Julie comme premier single ?
Kiappe :
Il y a des radios comme Radio France qui semblent accrocher. J’imagine que ce morceau correspond au côté guitare-voix de ce qu’on appelle Nouvelle Scène. Entre parenthèses, je n’aime pas beaucoup cette expression, parce que je trouve que son point de départ se situe quelques années après la mort de Gainsbourg, et qu’à partir de là on a commencé à estampiller Nouvelle Scène un peu partout, comme si on vivait un peu dans le complexe de cet homme là. La sortie de La Chanson de Julie n’est pas du tout un calcul de ma part, mais il se trouve que sur l’album il y a des chansons plus acoustiques et intimistes, et d’autres plus électro et dansantes. On enchaînera avec quelque chose d’un petit peu plus « Hup » !

Tof : Qu’est-ce qu’on peut trouver dans tes influences musicales ?
Kiappe :
D’abord les premiers tubes des années 80 [Sourire]. A mon arrivée à la capitale, c’était vraiment les tous débuts de l’électro. Je sortais en club énormément et du coup on peu dire que je suis de la génération qui a vu la techno et les raves débouler .Parallèlement à ça j’avais une espèce d’éducation des années 80. J’aimais bien Corinne Charby et tout ça [Rires] J’étais plus fan de one shots, que d’un chanteur ou une chanteuse en particulier.


Tof : Et au niveau des textes, si j’évoque Gainsbourg ?
Kiappe :
Oui bien sûr mais pas seulement ! Souchon a aussi écrit des titres qui m’ont touché, ou bien même Philippe Katerine !

Tof : D’où vient ce goût de la provocation dans tes textes ?
Kiappe :
Tu le vois comme ça ? Non pour moi rien n’est prémédité : quand j’écris je n’ai pas du tout d’état d’âme et je ne me pose pas de question. Ensuite, d’un seul coup cela devient cohérent.

Tof : Comme pour Sale expérience … ?
Kiappe :
Oui ! Sale expérience raconte une rencontre faite via les services audiotel. Tu sais les bons vieux services audiotel de l’époque ! Je me suis même amusé à réenregistrer le message d’accueil pour l’introduction : « Bienvenue sur le réseau numéro 1 des rencontres gay ! » Ensuite ce que j’ai voulu décrire, c’est l’instant juste avant que la personne arrive dans le couloir, une sorte de prise en flagrant délit. Le suspense d’une rencontre lorsqu’on ne sait pas qui on va avoir en face de soi. Il y a quelque chose d’un peu flippant dans ce titre …

Tof : Dans la chanson Mal élevé , il semblerait que tu ne sois pas fidèle. Quel est ton point de vue sur la fidélité ?
Kiappe :
A mon avis il faut d’abord être fidèle à ce que l’on est avant d’être fidèle à quelqu’un, d’ailleurs si on est fidèle à soi-même on l’est forcément à l’autre, non ? En gros si on doit y laisser quelque chose de soi-même ça ne sert à rien, car au bout d’un moment on est malheureux et des années après on va le reprocher à la personne avec qui on est. En fait je trouve l’idée de fidélité à une seule autre personne que soi assez crétine.

Tof : Et crois-tu en la notion de couple ?
Kiappe :
En fait je pense que c’est aussi difficile d’être seul que d’être en couple. Etre avec quelqu’un c’est quand même un sacré taf ! Pour moi le fait d’être à deux n’est pas un idéal du tout et encore moins une promesse de bonheur, comme on nous l’a fait croire pendant des années. J’ai derrière moi des années de célibat vraiment géniales, que je n’aurais échangé pour rien au monde et qui me font dire que oui, on peut être seul et heureux. Mais attention : Ok il ne faut pas prendre le couple comme une promesse de bonheur mais ça peut bien sûr le devenir, et dans ce cas il vaut mieux ne pas passer à côté [Sourire] .


Tof : Tu es plutôt favorable au mariage homosexuel ?
Kiappe :
Je pense qu’il faut déjà repenser le mariage tout court avant d’essayer de se coller à ce format que je trouve et que beaucoup de mes amis trouvent lourd, administrativement, pour divorcer etc . Ca me paraît encore très compliqué mais bon ce n’est que mon humble avis .

Tof : Tu es plutôt du genre à larguer ou à te faire larguer ?
Kiappe :
En fait quand une histoire est finissante on le sent, et dans ce cas ça ne sert à rien de se battre. Ca reste bien sûr des moments super difficiles. En fait, j’aime bien me faire larguer en provoquant plus ou moins la rupture. Il y a toujours un temps après où on fait un peu n’importe quoi, mais bon voila .

Tof : La chanson Mon Père semble lourde de signification .
Kiappe :
En effet, par le biais de ce texte, je m’adresse autant à la figure paternelle, que religieuse et morale, familiale, bref à la société en générale, et je me positionne par rapport à tout ce qu’ils imposent. Finalement je fais le constat du fait que je ne peux pas être parfait et coller à un certain moule. Je ne peux être que ce que je suis, tout simplement.

Tof : Parle moi de tes projets ?
Kiappe :
Et bien je serai en concert du 18 au 29 Septembre au théâtre Les Déchargeurs , deux jours avant la sortie de l’album, avec David Yukman qui l’a réalisé, et Marceline Guiffan. Ce sont des personnes que tu peux citer car elles ont vraiment contribué à ce projet prenne enfin forme.

Merci Kiappe, les internautes de CitéGay et moi-même sommes forcément curieux de voir ce que peut donner X Raisons, La Chanson du Dandy, oui même Sale Expérience en live. Nulle Doute que la fête et l’émotion seront au rendez-vous. Je prévois pour ma part un petit point d’orgue avec le poignant Mon Père, mais pour savoir si je vois juste, hé bien il faut être bien élevé, et venir t’applaudir . comme il se doit !

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Attention reste attentif à ta [email protected] interactive : Très bientôt des albums de KIAPPE seront à gagner sur CitéGAY !

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