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Tété : « Quand on se rend compte de la densité de l’actualité, c’est compliqué de continuer à parler des papillons ! »

J’arrive au milieu d’une quinzaine de personnes affairées. Comme dans toutes séances photos, il fait chaud à cause des projecteurs. J’ai rendez-vous avec le modèle de la séance, dont le pseudo veut dire « Guide » en Wolof. Il y a deux ans, il était officiellement intronisé parmi les chanteurs qui comptent dans notre paysage musicale, avec une nomination aux victoires de la musique, pour sa chanson A la faveur de l’Automne, simple, fraîche et légère. Lui, je le connaissais déjà indirectement. On s’était en effet retrouvés à la même table d’un dîner l’été dernier, sans pour autant avoir vraiment discuter, car il est le boy-friend de l’amie d’une amie (ça ne s’invente pas). A cette occasion, j’avais pu apprécier la simplicité, la douceur et la discrétion de l’artiste. Tété, puisqu’il s’agit bien de lui, est actuellement en tournée pour présenter son dernier album, au titre énigmatique Le Sacre des Lemmings (et autres contes de la lisière), avec des références aux Beatles encore plus marquées qu’auparavant, et un swing irrésistible . Il m’a donné rendez-vous pour que l’on parle de son actualité dès que sa séance photo sera finie. Et je crois bien que c’est le cas :

Tof : Hello Tété, merci de m’accorder un petit moment alors que tu as un emploi du temps si chargé. Peut-on dire que ce nouvel album Le sacre des Lemmings est un album concept ?
Tété :
[Sourire] Effectivement on peut se poser la question, et en fait je répondrai à la fois Oui et Non. A la base, l’idée que j’avais en tête était d’essayer de garder une cohérence entre tous les morceaux. Et c’est seulement après qu’on m’a parlé de concept-album. En étant un peu honnête, je ne l’avais pas pensé comme ça, mais vu que c’est plutôt flatteur je veux bien faire comme si ! [Rires] C’est vrai qu’en plus il est très construit, avec une introduction, une progression et une conclusion. C’est un désir conscient de ma part car je voulais qu’il soit une sorte de voyage. L’album est relativement court et j’avais envie que les gens puissent rentrer dedans et l’écouter de bout en bout. Souvent ces dernières années mes disques étaient plus une addition de morceaux. Cette fois j’avais envie que ce soit plus que ça, que les morceaux fonctionnent seuls, mais que remis dans l’ensemble que constitue l’album, ils deviennent aussi chacun un peu comme la pièce d’un puzzle. Avant que tu me le demandes, il a en fait été conçu comme un recueil de contes, pour mieux aborder certains thèmes de société. Pour l’anecdote les lemmings sont des petits rongeurs qui vivent principalement dans le nord canadien. Tous les 4 ans environ, après de véritables explosions démographiques, ces mammifères disparaissent en masse, sans qu’on sache si un tel comportement résulte d’accidents, d’une régulation naturelle, ou de suicides. L’album était une façon de dresser un parallèle avec d’autres mammifères dont les comportements pourraient bien menacer la pérennité du groupe…

Tof : J’ai parcouru quelques forums de fans et j’ai relevé quelques réflexions de certains d’entre eux, un peu désarçonnés par le côté plus compliqué de ce nouvel opus . C’est vrai que l’accès y est peut-être moins facile, avec l’emploi de tournures de phrases qui semblent échappées du moyen – age par exemple . Tu es résolument troubadour !
Tété :
Oui, oui [Sourires] En fait c’est peut-être plus évident dans cet album là, mais c’était déjà bien présent aussi dans mes anciens albums. Au niveau de l’écriture j’ai vraiment fait un travail par rapport aux champs lexicaux. C’est un disque qui parle avant tout d’altérité, et d’alter-visibilité et pour lequel j’ai vachement été influencé par l’actualité. Si tu regardes bien, les thèmes abordés depuis la nuit des temps sont toujours à peu près les mêmes : l’amour, la colère, la gamme des passions en général telles qu’on les connaît. Du coup c’est très difficile d’écrire un album qui va forcément aborder ces thèmes là sans utiliser les mêmes mots. Sans avoir la prétention de dire que ce que je fais n’a jamais été fait, j’ai remarqué qu’aller chercher des mots inusuels, cela permet d’avoir des images un petit peu différentes. J’accorde en fait beaucoup d’importance aux images que renvoient les mots car elles permettent d’aborder les sujets avec de la distance. Tu as le choix entre dire les choses de manière littérale, soit les suggérer, ce que je trouve plus intéressant, ce qui nécessite donc de passer par les images. Pour revenir à ta question, ça ne me dérange pas qu’on trouve cet album plus compliqué que les précédents. Quand j’écris les textes de mes chansons j’essaie de me faire plaisir en abordant des thèmes auxquels je suis sensible. Ensuite lorsque le public me fait le cadeau d’acheter l’album et d’aller à mes concerts, c’est qu’il « s’approprie » ce que je propose et du coup c’est grâce à eux que je peux continuer à m’éclater. C’est le plus beau cadeau ! Du coup il ne m’appartient pas de dire aux gens quelle est la meilleure manière de s’approprier mon travail. C’est pour ça que ça ne me dérange pas s’ils ne s’y retrouvent pas forcément. C’est peut-être aussi signe qu’il y a un genre d’évolution. A tout prendre, quitte à ce qu’on me reproche quelque chose, je préfère que ce soit le fait d’offrir un truc très différent, plutôt que de produire tout le temps la même musique. C’est une évolution, un pas en avant, comme la mue du serpent . ! Et puis il faut aussi dire que c’est toujours assez difficile d’avoir du recul sur ce qu’on fait.


Tof : Selon toi, quelle est la différence entre le Tété d’aujourd’hui et le Tété du premier album ?
Tété :
Humainement je suppose que j’ai vieilli donc mûri [Rires], et je suis peut-être plus désabusé mais ça je pense que c’est un truc un peu générationnel.

Tof : Oui l’album a l’air de dire « Tout va mal, mais la vie continue »
Tété :
Oui il faut bien continuer ! On constate en effet assez souvent que je professe ce message. Pendant très longtemps mes disques étaient assez « auto-centrés », ce que j’assume tout à fait. Ca parlait d’émotions, de sentiments, de ruptures, etc . Je trouve que c’est tout à fait légitime pour un chanteur de parler de ces choses là, mais ceci dit il se trouve que depuis deux trois ans, je lis l’actualité plus particulièrement et régulièrement. Quand on se rend compte de la densité de l’actualité aussi bien en bas de chez moi que dans Paris, qu’en France ou dans le monde, c’est compliqué de continuer à parler des papillons [Rires]. Alors que quand on a 17, 20 ans, on essaie de faire une espèce d’abstraction de tout ce qui se passe autour, il arrive tout de même un moment où il faut assumer le monde dans lequel on vit.

Tof : De « Anna Lee Soleil », diseuse de bonne aventure, à « Caroline Oh Yeah Hey ! » les personnages de l’album sont presque exclusivement des femmes, comme si tu avais voulu dire que ce sont elles qui détiennent la véritable sagesse .
Tété :
[Silence] Je ne sais pas si ce sont elles qui détiennent la sagesse mais elles ont un autre rapport aux choses que les hommes en général. Il se trouve qu’elles m’ont appris un rapport différent aux émotions en fait. Disons que les hommes ne sont pas programmés pour les assumer, alors que pour les femmes c’est un rôle social qu’on leur a accordé, et on les a même cantonnées un peu à ça d’ailleurs.. Et puis au niveau des personnages, quand j’ai envie de parler d’un thème, soit je parle du thème en lui-même, soit j’invente un personnage fictif, qui va être forcément un peu caricatural, avec les traits grossis, mais affublé de tels ou tels traits psychologiques ou textuels. Ce qui est intéressant c’est tout ce que ça permet de dire derrière. Après c’est totalement subjectif mais bon, c’est vrai que les hommes sont plus sur leurs émotions, plus en dedans, à dire qu’il ne faut jamais rien laisser paraître, à part la colère, la colère, et la colère ! [Rires] Moi je me sens beaucoup plus lisse que ça !

Tof : Peux-tu me rappeler la signification de ton single Fils de Cham ?
Tété :
Oui, c’est un titre qui fait référence à la Bible, J’y ai puisé l’histoire de Noé et de ses trois fils Sem, Japhet et Cham. Ce dernier aurait découvert son père enivré et nu. Au lieu de couvrir son père, il s’est empressé de rapporter l’évènement à ses frères. Noé, furieux, aurait maudit la descendance de Cham. D’après la légende, les noirs seraient les héritiers de ce fils indigne. Cette anecdote m’a servi de point de départ pour évoquer la situation des noirs dans le monde.

Tof : J’ai découvert que tu avais une grosse activité de bloggueur. Elle date d’il y a longtemps ?
Tété :
En fait c’est la vidéo qui m’a amené au blog. Ca fait maintenant 4, 5 ans que j’en fais, juste après avoir signé mon premier album en fait. J’ai commencé à filmer des potacheries sur la route, et puis je me suis assez rapidement rendu compte que ce rapport là me plaisait, c’est-à-dire le fait de me mettre en retrait et de filmer les gens en essayant de rendre compte de leur réalité. Et au-delà de ça, j’avoue que ce qui m’intéresserait plus tard, ce serait de faire du documentaire, quelque chose de pas du tout centré sur moi pour changer. Si tu veux en tant que chanteur, il se passe un truc très particulier par rapport à l’ego, plutôt ambivalent. Par exemple lorsque je fais des albums qui parlent de trucs sociétaux qui n’ont rien à voir avec moi, c’est un peu bizarre de voir que c’est toujours mon nom et ma photo qui se retrouvent partout, sur la pochette du disque, les affiches des concerts etc . Ce que j’aime dans le documentaire, c’est qu’au moins là on peut s’effacer complètement pour laisser la place au sujet et rendre compte d’une situation. Cette démarche là me plaît vraiment. Ensuite est venue l’idée du blog, parce qu’il n’y a encore pas très longtemps c’était assez compliqué de faire à la fois du théâtre, de la musique, ou écrire, de toucher les gens tout simplement, sans avoir un partenaire industriel, c’est-à-dire quelqu’un qui ait l’argent et les moyens de diffusion. Ce que je trouve intéressant, avec le net, c’est qu’avec un capital relativement restreint, même s’il faut quand même de quoi s’acheter un ordinateur, une caméra et une connexion, il devient relativement à porter de main, de créer des images, des textes ou du son, exactement comme on en a envie, et de les proposer directement aux internautes. Encore faut-il bien sûr que ceux-ci sachent qu’il y a tel site qui existe, accessible à telle adresse .


Tof : Parlons de la chanson Comme feuillets au vent , qui se penche sur le sujet du temps qui passe et des actes manqués par exemple . C’est le résultat d’une sorte de crise de la trentaine ?
Tété :
Pas du tout . J’ai voulu parler des personnes qui arrivent à un certain âge, qui ont l’impression que leur vie est derrière eux et qui ont des regrets, en me disant « si je devais rencontrer quelqu’un qui a ce sentiment là qu’est-ce que je pourrais faire ? » J’ai surtout imaginé une personne à qui je m’adresserai en me posant comme le miroir de ces questionnements là .

Tof : Je voudrais savoir, comme tu es aussi un très bon illustrateur, dans quelles mesures tu participes à tout ce qui est visuel te concernant.Le clip de Fils de Cham a une vraie identité visuelle par exemple.
Tété :
Oui je m’y suis beaucoup impliqué. En fait que ce soit pour la pochette de disque ou quoique ce soit d’autre, j’essaie de réfléchir un peu en amont à ce dont j’ai envie. Ensuite on fait des réunions avec la maison de disques, au terme desquelles systématiquement on rédige des briefs. De mon côté j’essaie de poser mes idées sur papier, le plus précisément possible, en détaillant ce que j’ai en tête et en donnant des références. Mais attention c’est pas un truc dictatorial qui n’est pas amené à évoluer, bien au contraire ! [Sourire]. Enfin bref, travailler avec un outil génial c’est toujours un vrai régal quand ça se passe avec des gens qui ont du talent, du temps et de l’énergie et qui sont prêts à le mettre au service du projet. A l’inverse, quand on ne parle pas de la même chose ça ne peut que mal se passer. Le brain stoarming reste à la base quelque chose de totalement subjectif, mais du coup ça permet de travailler beaucoup plus vite par la suite. Pour la pochette je simplement annoncé quel type de stylisme et quelle facture je souhaitais. Et suivant mes indications, la maison de disques m’a fait remarquer que ça ressemblait en tous points à l’univers de Lisa Roze, avec qui j’avais déjà travaillé. Du coup on est allé voir son book, et puis son site, et tout est devenu super cohérent. Pour le clip ça s’est passé avec quelqu’un d’autre, Edouard Sallier, mais sensiblement de la même manière. In fine quand on a trouvé la direction j’ai pu totalement lâcher les rennes, parce qu’à ce stade on n’est quasiment sûrs de ne pas se tromper. C’est aussi vachement plus agréable je crois pour mes interlocuteurs parce qu’on est pas. Ca évite des désagréments dont j’ai souvent entendus parler chez les photographes ou chez les gens qui font de l’image par exemple. Au cours du processus de travail on leur demande sans cesse de changer ceci, ou cela. Si bien qu’à un moment ils ne savent plus très bien pourquoi on a fait appel précisément à eux, si c’est pour justement sans arrêt de changer leur patte. Quand on va chercher un mec parce qu’il a une certaine « patte », c’est bien qu’on sait de quoi on parle, et c’est justement ce qui permet ensuite de lui laisser carte blanche. C’est peut-être plus de travail en amont mais aussi plus de confort pour de son côté.

Tof : J’avais noté des références cinématographiques du genre Tim Burton .
Tété :
Ah oui bien sûr, le clip de Fils de Cham était vraiment un hommage à ce grand monsieur, et puis je voulais aussi des références historiques par rapport à des images d’archives, une esthétique un peu passée, avec beaucoup de grain. Quand on y pense, Tim Burton est sûrement la seule personne qui réussit à reprendre à son compte des codes de la morbidité, de l’au-delà, bref des choses pas très marrantes, et à en faire des choses ludiques, en passant par le burlesque. Il a vraiment trouvé cet équilibre.


Tof : Ok Tété, peux-tu me parler de tes projets ?
Tété :
Tout d’abord le nouveau single, qui sera Madeleine Bas-de-Laine, avec un clip sûrement différent de Fils de Cham parce que plus ancré dans la réalité. Je suis toujours sur les routes pour une tournée française de 3 mois qui finit par deux Olympia les 28 et 29 Avril, et un 3ème le premier Mai. Ensuite je pars au Japon, pour revenir faire quelques concerts en Août, et je repars de nouveau au Japon en Septembre !

Heureux d’apprendre que ton talent fait des émules jusqu’au pays du soleil levant. Merci de m’avoir consacré ce moment décidément trop court Tété. Je n’ai plus qu’une envie en rentrant chez moi, c’est de remettre ton album dans ma platine laser et me laisser aller à ses rythmes tantôt pop, tantôt rock, mais toujours swing, comme s’ils venaient directement de la Nouvelle Orléans. A bientôt aussi sur les routes de France et d’ailleurs car ta réputation de showman n’est plus à faire !

Découvrez toutes les infos sur Tété en visitant son site officiel, myspace.com/tete75, www.le-sacre-des-lemmings.com, et www.tete-leblog.com

Tété sera en concert :
– Le 05 Avril 2007 à la Nef, Angoulême
– Le 06 Avril 2007 au Festival Garorock, Marmande
– Le 07 Avril 2007 à l’Atabal, Biarritz
– Le 12 Avril 2007 à la Laiterie + Fnac, Strasbourg
– Le 13 Avril 2007 à Festimusic, Ancenis
– Le 14 Avril 2007 à La Luciole, Alençon
– Le 20 Avril 2007 à L’Autre canal, Nancy
– Le 24 Avril 2007 à Kultur Fabrik, Luxembourg
– Le 25 Avril 2007 au Botanique, Bruxelles
– Le 26 Avril 2007 au Sound Station, Liège
– Le 28 Avril 2007 à l’Olympia, paris
– Le 29 Avril 2007 à l’Olympia, paris
– Le 1er Mai 2007 à l’Olympia, paris
– Le 2 Mai 2007 à l’Olympic, Nantes (à confirmer)

(… autres dates au japon sur le myspace de Tété)

photos de Lisa Roze


Lire les interviews précédentes de Citégay : Cerino – Zazie – Jay Jay Johanson – Guesh Patti – A-Ha – Cerrone – David Guetta – Elodie frégé – Duran Duran – Elli Medeiros – The Killers – Kim Wilde etc, etc …




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