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Cercle fermé : Les rappeurs ont toujours du mal à parler de l’homophobie

Il y a quelques semaines, un clip-Ovni déboulait sur les écrans des chaînes musicales du câble et de la TNT, en diffusion tardive certes mais en diffusion tout de même. Un titre fort ponctué d’un refrain ironique qui peut mettre facilement l’auditeur mal à l’aise et des phrases chocs comme par exemple « Est-ce que l’amour pour son enfant s’arrête à sa sexualité ou plutôt son homosexualité ? » « L’homosexualité dans le rap, c’est tabou, normal entre mecs machos qui se la jouent ».

Parce qu’il s’agit bien là d’un clip de rap, même s’il n’en a pas les caractéristiques visuelles attendues. Le titre est extrait d’un livre-cd-vidéo « Des Ponts à la Place des Murs », très bel objet diffusé principalement sur le net.

CitéGay a voulu savoir ce qui se cachait derrière et connaître les tenants et les aboutissants de ce projet audacieux . Les rappeurs sont-ils les mieux placés pour parler d’Homophobie ? Ouahide, à l’origine du projet « Cercle Fermé », a accepté de répondre aux questions de CitéGay .

Tof : Salut Ouahide, tout d’abord peux-tu nous présenter « Cercle Fermé » ?
Ouahide :
A la base c’est un groupe de rap toulousain, qui a sorti un maxi 6 titres « A qui profite nos malheurs ? » puis un album intitulé « Douce France ». C’est un noyau de deux personnes mais l’équipe qui produit le livre-CD-Vidéo « des Ponts à la Place des Murs », d’où est extrait le titre « Homophobie » , représente environ dix personnes.
Parallèlement à la musique a toujours touché à différentes disciplines comme le théâtre et aussi beaucoup la danse.
Globalement on est contre le rap qui se développe à l’heure actuelle : macho et pas très réfléchi, qui va appuyer sur des sujets sensibles, sans vraiment trop y réfléchir, le style de musique uniquement basé sur « on est des victimes du racisme et de la discrimination », « le monde dans lequel nous vivons est hostile » etc.
Après « Douce France » on a décidé d’arrêter les concerts parce qu’on n’était plus d’accord avec une certaine façon d’organiser les concerts, et on a constaté que l’esprit du rap se détériorait. En effet on regrette l’époque où on venait écouter cette musique avant tout pour écouter des paroles intelligentes qui avaient un sens et une vocation constructive.
Il y avait aussi une concurrence au niveau de l’écriture, et une vraie volonté d’aporter de la nouveauté, et puis hélas ça s’est perdu.
On ne s’est plus reconnus lorsqu’il a fallu jouer dans des salles entièrement sponsorisées par des marques de sport et qu’un concert de rap devait être uniquement une histoire festive.
Ca nous a amené à nous remettre en question, et j’ai décidé de travailler sur un nouveau concept, une nouvelle façon d’amener les choses, car on ne pouvait plus continuer de la même façon.
Au-delà de ça on a vu en quelque sorte un rap de droite s’installer, auquel on n’avait bien sûr pas envie d’adhérer, je pense Booba par exemple, le genre de personnage qui développe une forme de gangsta rap qui nous vient de Los Angeles, qui d’après nous n’a rien à foutre en France. On s’est aperçu qu’à force de faire passer des messages uniquement négatifs, du style « la banlieue c’est dangereux, on tue les flics, et les racistes on les égorge », cela pouvait aussi faire le jeu de Sarkozy et Le Pen .
Après le 21 avril il fallait revoir complètement notre façon d’amener les choses. Les médias avaient utilisé ce côté violent et c’était retombé sur la France entière avec Le Pen au second tour. Bizarrement les rappeurs n’ont pas eu l’air de prendre conscience de la responsabilité qu’ils ont dû avoir à ce moment là et on continué dans cette voie..
Bien sûr, un type qui parle des femmes comme des objets, qui dit qu’il est un homme et que donc les homos ne le sont pas, c’est toujours vendeur, et hélas facile à consommer on va dire .

Tof : D’où vient cette idée de concept livre + cd ?
Ouahide :
Après ce qu’on a vu, le 21 avril, et l’évolution du rap, il fallait amener des choses différentes.
Etant donné que moi j’écrivais pour le théâtre et pas que pour le rap, j’avais commencé à écrire un texte, et puis on s’est dit qu’il fallait approfondir cela.
On a décidé de faire un livre-cd vidéo parce que je travaille aussi sur l’image, avec la réalisation des vidéos en images de synthèse par exemple .
Tout cela représente à peu près 3 ans de travail. Ce projet est disponible depuis Octobre Novembre dans les Fnac et les librairies, mais nous on a décidé de plus développer le côté vente par internet.

Tof : Je ne l’ai pas vu sur le site de la Fnac pourtant .
Ouahide :
Non, parce que là aussi au niveau des distributeurs il y a une dérive monumentale : sur un produit comme le nôtre, les distributeurs prennent 40 %, juste pour le référencer, et on n’est même pas sûrs qu’il soit dans les magasins. Ils ne font aucune promo et ne se mouillent plus. Tout ça sous prétexte que le disque est en danger et qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre de l’argent. Résultats ils demandent un argent fou pour rien alors que pour nous ça représente quand même un gros travail de plus de 3 ans, et que ça coûte déjà très cher à la base.
Pour l’instant le projet n’est pas encore rentable mais est vraiment en voie de le devenir. Certaines chaînes choisissent de le diffuser et d’autres refusent. Par exemple le clip d’ « Homophobie » a été clairement censuré par Trace Tv, pas du tout pour la qualité du clip mais à cause du sujet qu’il traite.

Tof : Comment ce sujet est accueilli dans le milieu du rap justement ? Tu as choisi de faire un clip en images de synthèse, mettant en scène des canards, pour préserver ton anonymat ?
Ouahide :
Non pas vraiment, d’ailleurs on me voit un peu sur l’autre clip visible sur le site. L’objectif était surtout d’amener quelque chose de nouveau, par rapport aux clips de rap existants, qui ont tendance à tout recentrer sur l’ego de l’artiste . On voulait sortir de ça et on a décidé de mettre en avant un canard. Pas par rapport à la grippe aviaire [Rires] et en fait ce n’est pas très importants, mais parce qu’on avait été marqué par le travail de Gasparno, un auteur qui a beaucoup travaillé sur la diffusion de la radioactivité suite à l’explosion de Tchernobyl, et via les oiseaux migrateurs, provoquant des mutations au sein des espèces.
C’était une façon de travailler sur des sujets forts et difficiles et en même temps de créer un décalage.


Tof : Le clip est diffusé assez tard. Est-ce que ça peut encore bouger, où vous envisagez déjà la suite ?
Ouhaide :
Non ça peut encore bouger. On est encore quand même dans un pays vraiment très frileux sur ces sujets là, alors qu’on attendrait du rap qu’il parle justement de sujets forts, car c’est pour moi sa fonction première. Je pense que les médias n’ont plus trop l’habitude de recevoir des choses avec du contenu, et du coup ils ne savent pas trop quoi en faire. Ils aiment beaucoup, et on a eu un accueil intéressant de la part des grandes chaînes musicales comme M6 Music, MCM ou MTV, mais ils restent super frileux, ne sachant pas où le positionner dans la programmation ». On savait bien que notre projet n’aurait aucune cohérence avec les clips de rap habituelle et notre préoccupation n’était pas non plus de coller à cette case. Le clip d’ « Homophobie » est carrément un « anti-clip » de rap et c’est totalement assumé .
Parallèlement à ça, une chaîne urbaine comme Trace Tv refuse de le programmer parce que ça choquerait son public. C’était prévisible vu que le monde du rap a du mal avec ce sujet, mais en même temps c’est notre travail de faire bouger les choses, et on pense qu’avec le temps les mentalités pourront évoluer. C’est vrai qu’il faut que les gens se rendent compte que tous les rappeurs n’ont pas trois neurones dans le cerveau, et ne passent pas forcément leur temps à se plaindre ou à vanter les mérites des diamants qui brillent sur leur cou. Heureusement, il y a aussi des choses originales et intéressantes !
Notre site web est un instrument de promotion indéniable, que les gens peuvent consulter pour avoir un aperçu de ce qu’on fait. Internet est de ce point de vue là notre outil privilégié. Grâce à l’adsl qui est maintenant très répandu, des choses qui n’étaient pas possibles avant sont maintenant courantes. Le public peut même communiquer directement avec notre équipe !
Au niveau de la presse c’est très difficile aussi : les magazines spécialisés ne veulent pas diffuser d’infos sur le projet par exemple. En fait les journalistes créent des articles mais les directeurs artistiques décident de ne pas les diffuser. En même temps on est assez fiers d’être censurés par ces gens là. Et puis quand Trace Tv refuse de diffuser « Homophobie » à cause du sujet mais nous demande l’autre clip, ui a leur sens est plus diffusable, on refuse de leur donner.
On tient beau coup à ce titre car à la base c’est lui qui montre comment le mouvement s’est perverti. Quand les mêmes personnes qui en caricaturant un peu, criaient « Liberté, Egalité, Fraternité », voulant abolir les discriminations, et commencent à avoir elles-mêmes un comportement discriminatoire face à ce thème, il y a un vrai malaise . C’est pour cela qu’on a décidé d’attaquer précisément par cet angle là . Et bien sûr on ne critique pas que le public rap même si il y a un couplet qui lui est dédié, l’intolérance est plus répandue que ça hélas.

Tof : Tu t’es toujours senti sensibilisé aux préoccupations des gays et lesbiennes ?
Ouahide :
Tout d’abord je ne suis pas personnellement gay mais j’ai la chance d’avoir mené deux disciplines qui sont le hip-hop et le théâtre et donc j’ai été très souvent entouré d’homos et de lesbiennes.
Je m’attaque assez souvent à des sujets comme ça, qui me paraissent révéler une absurdité monumentale. C’est triste de voir que des gens peuvent être les auteurs de propos homophobes stupides mais aussi tellement répandus, tellement « acceptés » dans plusieurs générations. Le titre « Homophobie » a motivé tout le projet livre-cd-vidéo, parce que pour nous c’est un exemple flagrant de manque d’ouverture et de compréhension. Après il y a une histoire culturelle derrière et c’est pour ça qu’on a fait des ponts à la place des murs. Il y a aussi des concerts qu’on a été obligés de refuser parce que les organisateurs nous demandaient de ne pas jouer « Homophobie » . Ca nous conforte dans le fait que partout où on ira les gens auront pleinement conscience de qui on est et de ce qu’on veut apporter et on sera accueillis dans de bonnes conditions.

Tof : Au-delà de ça, à travers tes textes, tu sembles surtout pointer la responsabilité de l’homme .
Ouahide :
Oui je pense qu’il y a un problème massif de fermeture d’esprit surtout chez les hommes. C’est clair et net. En même temps la question est « qui éduque les hommes ? » Peut-être faudrait-il que les femmes arrêtent de les éduquer comme des machos justement. On ne parle pas en plus des problèmes nombreux liés aux idéologies des religions .
Dans le livre on s’attaque a plusieurs idées, comme par exemple « pourquoi le bleu serait obligatoirement associé à l’homme et le rose à la femme » ou encore qu’on peut avoir le corps d’un homme et se sentir être une femme, être un homme et développer son côté féminin, sans pour autant ne pas être considéré moins homme . Ca me paraît essentiel de développer toutes ces idées car ce sont-elles qui construisent les mentalités.

Tof : Ces thèmes auraient peut-être pu être diffusés plus facilement sur un autre mode que le rap, pas très populaire chez les gays .
Ouahide :
Oui probablement, mais l’objectif, c’était de faire des ponts et de s’attaquer aux murs. J’ai remarqué que la communauté gay avait peur de cet esprit rap, ce qui est bien normal car c’est un milieu plutôt homophobe et macho. Ils se sentent agressés alors que selon moi il y a des ponts possibles à faire. Montrer qu’un rappeur peut penser différemment et fonder son travail là-dessus en prenant des risques, ça me semble être une vraie touche d’espoir.
Mais je connais aussi beaucoup de gays qui écoutent du rap, avec tout de même un certain malaise, pas forcément d’ailleurs à cause seulement des propos diffusés, mais aussi par rapport à l’image de l’homme qui est véhiculée, et l’image du « non-homme » aussi, qui est difficile à vivre. Tu sais on ne choisit pas forcément la musique qu’on aime en plus !
Après il y a la dévalorisation de la femme qui est pour moi une déception monumentale.
Le canard, pas sexy, c’est aussi une façon de montrer que le rap pouvait être autre chose.
En faisant ça on savait très bien qu’on se mettait à dos une grosse partie du public de cette musique, mais notre objectif était d’aller à la rencontre d’autres auditoires, qui ont envie de chansons à thèmes et de choses chiadées.
On serait aussi très heureux de pouvoir participer même bénévolement à la journée de lutte contre l’homophobie du 17 Mai par exemple . Pour nous ce serait génial mais on n’arrive pas à trouver les gens que ça pourrait intéresser. On jouerait pleinement notre rôle quoi !

Merci de toutes ces informations Ouahide, et on te souhaite bonne chance pour la suite, avec notamment l’adaptation théâtrale du projet « Des Ponts à la place des Murs »

Pour plus d’infos, voir et écouter le clip d’ « Homophobie », visite le site de Cercle Fermé






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