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Jeanne Mas : Moi je n’aime pas refaire ce que j’ai déjà fait

Un après-midi ensoleillé comme on n’en avait pas vu depuis longtemps . Je réajuste ma chemise et me toise rapidement dans le miroir de l’entrée . Nous sommes dans un hôtel cossu et agréable de Neuilly .
Quelques coups d’oeil mal assurés, j’aperçois au loin celle avec qui je vais passer un moment délicieux . Au milieu du petit salon de la réception, je l’aperçois, gracieuse et légère . Assise face à une tasse de thé à peine servie, souriante . Elle porte un turban dans les cheveux, qui lui donne des allures de duchesse de conte de fées . Sa présence irradie les lieux dont elle semble maîtresse .
Elle, c’est Jeanne Mas, tantôt femme-enfant, tantôt grave, toujours sincère, toujours vraie … L’entrevue peut commencer .

Tof : Bonjour Jeanne, ton nouvel album Les Amants de Castille, est une belle réussite . Comment est né le projet ?

Jeanne Mas : Le projet est né il y a déjà plus de deux ans, alors que je préparais Désir d’Insolence . Je cherchais à m’inspirer de textes d’auteurs classiques qui m’avaient émue . C’est comme ça que je me suis intéressée à l’Acte IV du Cid, et que je l’ai mis en musique . J’ai vraiment adoré faire ça ! Ca a aussi beaucoup plu à mon éditeur, qui m’a encouragé à en faire quelque chose, dans un projet à part . J’ai continué à travailler sur d’autres chansons, en retrouvant Piero Calabrese (En Rouge et Noir etc …) Au début, je ne savais pas trop comment m’y prendre et je suis un peu partie dans tous les sens . On voulait d’ailleurs faire une adaptation pour le cinéma, mais on s’est fait jeter de partout . Et puis je n’avais pas envie d’en faire une comédie musicale, je trouvais ça ridicule . Ce que je voulais, c’était vraiment quelque chose de différent . A la sortie de l’Olympia, il n’y avait vraiment plus que cette adaptation qui m’intéressait . La maison de disques a dit Ok banco ! Et on a fait les Amants de Castille .



Tof : Ce n’est pas la première fois que tu t’inspires d’écrivains classiques …
Jeanne Mas : Oui c’est vrai, mais ici il s’agit d’un vrai album-concept . C’est donc totalement différent . Dés le départ je voulais monter le Cid sur scène . D’ailleurs il fallait me voir chercher mon Rodrigue partout pendant deux ans ! Et puis je me suis vraiment imprégnée du personnage de Chimène …

Tof : La présence de guitares hispanisantes, c’est un peu déroutant à la première écoute …
Jeanne Mas : [Rires] Oui, je n’arrête pas de dérouter . Vous devriez être tous habitués maintenant ! [Rires] J’ai toujours voulu être libre dans mes choix musicaux … Un moment, on m’a étiquetée Punkette gentille, années 80 . je ne pouvais pas dépendre de ça indéfiniment . Et puis le coté flamenco qui existe dans l’album, était un peu nécessaire . N’oublions pas que ça se passe à Castille !

Tof : On te sent très comédienne sur cet album , et en particulier sur le titre L’Infante, qui a des accents d’Opérette … Tu es attirée par le cinéma ?
Jeanne Mas : J’en ai fait au départ et j’espère pouvoir en refaire . Aujourd’hui je suis plus dans l’expression, la comédie, le théâtre . Dernièrement j’ai tourné dans une série pour TF1, qui s’intitule Malone . J’espère que ça va m’ouvrir d’autres portes . J’ai un vrai besoin de jouer, qui prend le dessus sur le reste . Mais il fallait y aller par étape, que les gens me fassent confiance . Malone sera diffusé au mois de Septembre, pour moi c’est une chance inouie !

Tof : Et la réalisation de film ?
Jeanne Mas : Elle va venir . J’aimerais bien réaliser un court-métrage . Mais tu sais, c’est difficile quand tu es artiste de la chanson . C’est difficile de s’imposer dans un autre domaine . On a affaire à des mondes tellement fermés … Et pourquoi je ne pourrais pas être comédienne ou réalisatrice, alors qu’en tant qu’interprète je me mets déjà en scène ? En fait il faut que je sois d’autant plus talentueuse, mais ça je le sais …

Tof : Est-ce que tu te sens à l’écart vis-à-vis de la « grande famille des enfoirés », bref les chanteurs « en vogue » ?
Jeanne Mas : Aujourd’hui, le monde du show-biz est fait de familles, et je ne fais partie d’aucune . Il me semble qu’il y a deux artistes mises de côté comme cela : Mylène Farmer et moi . Mais ce n’est pas nous qui avons voulu cette différence . Elle s’est créée comme ça dans le milieu . Peut-être que les choses sont un petit peu en train de changer pour moi parce que Liane Foly m’a appelé pour me demander de participer au projet Combat-Combo . J’avoue que j’ai été non seulement heureuse mais étonnée qu’on fasse appel à moi . J’ai été très contente de soutenir cette cause …

Tof : Peux-tu me parler de ce projet ?
Jeanne Mas : Il s’agit de Combat-Combo – Le coeur des Femmes . Je ne connaissait pas Liane Foly, qui a organisé le projet … J’ai découvert une fille géniale et très généreuse . Elle s’est vraiment impliquée dans cette démarche pour soutenir la fondation de Stéphanie Fugain, qui au nom de sa fille, veut essayer d’aider ceux qui sont malades de leucémie et qui ont besoin de plaquettes . Il n’y a que des femmes qui ont été appelées, j’ai trouvé le concept très sympa . C’était le combat d’une mère qui venait de perdre sa fille . En fait, j’ai réalisé que ça aurait pu être moi . J’ai été très émue : Il n’y a rien de pire que de perdre un enfant . Le 18 Mai, j’étais parmi les participantes au défilé qui s’est déroulé de Montparnasse jusqu’au Trocadéro, avec Mimi Mathy , les L5, Nathalie Cardone etc … Cela s’est fini par un concert mémorable . J’ai tenu à être là pour apporter mon soutien . Combat-Combo, c’est en définitive soutenir la médecine, car on n’est pas soutenu par le gouvernement . C’est triste de savoir qu’il faut un malheur pour que les gens se mettent à lutter . Il s’agit encore d’ un combat humain …



Tof : On te sent plus libre aujourd’hui …
Jeanne Mas : Oui c’est sûr… Je suis beaucoup plus libre sur scène, je prends beaucoup plus de plaisir qu’avant . Aujourd’hui je m’amuse vraiment . Je vis ma vie avec le sentiment que j’en suis l’auteur .

Tof : C’est la vraie définition de l’artiste en fait …
Jeanne Mas : La définition de l’artiste Libre, car un artiste qui n’est pas libre est un artiste qui meurt …

Tof : Tu dois avoir un point de vue particulier sur les émissions de real-tv qui s’évertuent à créer des artistes justement …
Jeanne Mas : C’est une chance formidable qu’on donne aux jeunes talents : tu n’as pas besoin d’attendre dix ou quinze ans avant qu’une maison de disques écoute tes maquettes . Mais il faut déjà avoir du talent à la base . Dans ce cas : Bingo !

Tof : On a parlé de la paricularité de la France, qui n’aime pas voir ses artistes sortir des cases dans lesquelles on les y a mis . Est-ce que tu as déjà pensé à aller travailler à l’étranger pour éviter cela ?
Jeanne Mas : Ce serait un peu duper les médias et donc pas très bon … Par contre c’est vrai que j’ai très envie d’aller travailler aux Etats-Unis, pour proposer un scénario . Je trouve que là-bas ils ont moins d’a priori . Quand une idée est bonne, on se fout que tu sois Jeanne Mas ou Peter Gabriel . L’idée est bonne alors on la prend et c’est tout !
En France ça ne marche pas comme ça hélas ! Et crois moi ça me casse les pieds !

Tof : Je ne pensais pas aux Etats-Unis, mais plus près … L’ Italie, par exemple …
Jeanne Mas : Ah oui, mais moi je vois plus loin ! J’adore les Etats-Unis . Je trouve qu’il y a tellement de choses à apprendre chez eux . Bon à chaque fois que je les défends on me répond qu’ils n’ont pas de culture, mais franchement quand j’entends les gamins parler aujourd’hui, je me demande où elle est notre culture . Sur le plan cinématographique ou musical, ils n’arrêtent pas de nous bluffer , c’est extraordinaire . Rends-toi compte : Jamais un Mickael Jackson n’aurait vu le jour en France, et encore moins Marylin Manson !!! J’admire ce qu’ils arrivent à apporter . Après on n’a pas à critiquer leur vie, parce que la nôtre n’est pas mieux . Ici on baigne dans l’irrespect total alors que là-bas, tout compte fait, les gens s’excusent …

Tof : D’après toi, pourquoi une grande partie de ton public est gay ?
Jeanne Mas : Je ne sais pas . Déjà pour moi, ce sont des gens comme les autres . J’ai demandé à Thierry Calmont (de Tribu Move) ce qu’il en pensait . Il m’a dit que j’étais à la fois un homme et une femme . J’avoue que cela m’a plu . C’est vrai que j’élève mes gamins toute seule, que je mène ma carrière toute seule, bref que je me bats toute seule. Par moments je suis un mec qui assume des responsabilités qui habituellement sont divisées dans un couple « normal ». Je suis celle qui va bosser, qui doit ramener les sous à la maison et qui doit être câline avec ses enfants . Je pense aussi qu’on a la même sensibilité …

Tof : Et est-ce que tu te sens des affinités avec les préoccupations de la communauté gay ?
Jeanne Mas : Et bien par exemple, je n’arrive même pas à imaginer qu’on ne puisse pas tolérer la différence car je vis constamment dedans . Je pense que c’est formidable d’être différent, c’est être soi-même . Combien de personnes cherchent à être différents à travers les tatouages, les piercing etc … ? On a tous besoin d’être reconnus et acceptés réellement pour ce qu’on est … Ceux qui ont un problème avec ça sont des jaloux . En fait je trouve que les homosexuels ont un plus, que les hommes n’ont pas . C’est cette sensibilité en plus qui fait qu’ils sont plus généreux , plus proches, plus à l’écoute .

Tof : Ton combat en tant que féministe continue-t-il ?
Jeanne Mas : Je n’ai jamais été vraiment féministe pure et dure : Ne comptez pas sur moi pour exclure les Hommes . C’est impossible [Rires] . Par contre je veux que les femmes aient cette même égalité vis-à-vis des hommes . Elles ont voulu leur indépendance au niveau de leur réalisation sociale, mais elles ont aussi gardé tout le reste . C’est-à-dire qu’il faut qu’elles soient sur tous les fronts . Elles doivent être à la fois de bonnes épouses, de bonnes amantes, et en plus il faut qu’elles assurent une vie sociale tout en étant payées moins que les hommes . C’est inadmissible ! Je pense aussi à tous ces pays où elles sont encore soumises . Je ne supporte pas l’idée du port du voile . Je prends ça comme un affront, surtout après tout le mal qu’on s’est donné, et cette lutte qu’on continue à mener pour notre indépendance et notre liberté . C’est la seule chose qui me rend presque intolérante . Quand je vois une femme porter le voile islamique, j’aimerais pouvoir lui dire « mais tu ne te rends pas compte de ce que tu fais ? ». On a la chance de pouvoir s’exprimer aujourd’hui, d’avoir notre compte en banque, le droit de travailler, le droit de voter . Ces filles y renoncent en disant « non, je veux être soumise à mon homme ! » J’ai du mal …



Tof : Il y a deux Jeanne Mas . Une Jeanne Mas mélancolique que l’on connaît au travers de tes disques, et une Jeanne Mas Rigolote et Pétillante . Ce sont deux aspects de ta personnalité qui se battent en duel ?
Jeanne mas : Non ils ne se battent pas : ils cohabitent . En fait, je veux donner une image absolument positive . Tu ne me verras jamais dans un dîner en train de me plaindre . Je suis là pour faire rire mes copains, c’est plus fort que moi ! Mais malheureusement j’ai vécu des choses difficiles dans ma vie, qui ressurgissent à travers mes textes . C’est ma façon de les exprimer …

Tof : Et donc, tu te trouves des points communs avec Chimène ?
Jeanne Mas : Dans son combat oui ! Chimène n’a pas de mère, mais elle perd son père . J’ai vécu la même chose . Elle, elle perd l’homme qu’elle aime, puisqu’elle n’a pas le droit de l’aimer . Quelque part, c’est quelque chose que j’ai vécu aussi . Cette tristesse qu’elle a au fond d’elle mais qu’elle masque dans cette force, cette détermination à vouloir venger son père . C’est moi aussi !

Tof : Avec le recul, est-ce qu’il y a quelque chose que tu ne referais pas ou que tu referais différemment ?
Jeanne Mas : L’autre jour, je suis tombée sur un reportage sur Charlie Chaplin . Sa vie n’a pas été très facile . Il s’est fait éjecté par les Etats-Unis parce qu’il était considéré comme communiste . On lui avait posé la même question . Il a répondu qu’il ne voulait plus repartir en arrière . C’est vrai, pourquoi faire ? Moi je n’aime pas refaire ce que j’ai déjà fait . Ca dépend si je sais à l’avance ce qui va m’arriver ou pas, parce que si je suis dans la même inconscience, c’est sûr que je vais commettre les mêmes erreurs et que je vais refaire les mêmes choix . En fait je n’aimerais rien refaire, en dehors de mes deux enfants .

Tof : Quels sont maintenant tes projets ?
Jeanne Mas : Il y a la promo de cet album et je travaille sur le spectacle . A part ça j’attends d’autres propositions de cinéma car c’est quelque chose qui m’apaise . Depuis que j’ai tourné dans la série Malone, je me sens bien . C’est une façon différente de s’exprimer . Et puis le court-métrage, je vais bien finir par le faire ! [Rires]

Tof : Un conseil pour les internautes de CitéGay ?
Jeanne Mas : Vivre ! Qui que tu sois et quoi que tu aies envie de faire, vis ta vie et fous toi du reste ! En tout cas c’est ce que j’enseigne à mes enfants . Surtout ne jamais laisser les autres diriger à ta place !

Tof : Merci beaucoup Jeanne !

On aimait déjà beaucoup la « punkette » sophistiquée des eighties, qui n’avait pas sa langue dans sa poche . Aujourd’hui Jeanne Mas est restée fondamentalement la même, elle a gardé son enthousiasme et son franc-parler des débuts, et continue à s’épanouir, sans aucune concession .
Adapter le Cid pour un concept-album, il fallait oser . Avec Les Amants de Castille, elle affirme l’étendu de son univers, décidément très riche . On est emporté dans un voyage enivrant, au gré des tourments de Chimène et Rodrigue . Le dépaysement est total et les mélodies accrocheuses . Encore merci Jeanne .


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