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Exposition Jean-Léon Gérôme

Hypnotisé par ce tableau, je brûle d’envie de caresser la fourrure du tigre, épaisse et soyeuse, reproduite de façon si fidèle qu’elle semble sortir de la toile. Peu à peu, pris dans la contemplation, je me laisse gagner par la douleur du pacha, tristesse infinie devant le corps sans vie de cette bête magnifique, qui devait représenter pour lui beaucoup plus qu’une prise de chasse ou qu’un animal de compagnie. Le tigre est mort et le pacha se consume de douleur.

« Non, non, ce ne sont pas ces figures funèbres,
Qui, d’un rayon sanglant luisant dans les ténèbres,
En passant dans son âme ont laissé le remord.
Qu’a-t-il donc ce pacha, que la guerre réclame,
Et qui, triste et rêveur, pleure comme une femme ?… –
Son tigre de Nubie est mort. »

Directement inspiré d’un poème de Victor Hugo (« la douleur du pacha », les Orientales), « le tigre mort » a été peint en 1885 par Jean-Léon Gérôme, peintre génial, longtemps remisé au rayon des « pompiers », actuellement en voie de réhabilitation et à qui le musée d’Orsay consacre, jusqu’au 23 janvier, une rétrospective exemplaire et passionnante.

La bête magnifique repose sur un lit de roses un peu kitsch, qui semble sortir tout droit d’une photo de Pierre et Gilles tandis que la précision extrême dans le traitement des détails semble déjà ouvrir la voie aux écoles surréaliste et hyperréaliste. Et si Gérôme était un artiste d’avant-garde ?

La Grèce idéalisée, l’Orient mystérieux, cruel et lascif (qu’il avait parcouru avec ses amis le photographe Le Gray et le sculpteur Bartholdi), les jeux sanglants du cirque romain et le Grand siècle, tels sont les thèmes principaux sur lesquels travailla Gérôme durant sa longue carrière. A chacun d’entre eux, une salle est consacrée. L’accrochage des oeuvres est parfait, les commentaires clairs et instructifs. A la sortie, on peut acheter la catalogue, des cartes postales, quelques ouvrages sur la Rome antique et un enregistrement d’Aïda.

Gérôme fût aussi l’un des premiers qui saisit les potentiels considérables de l’image industrielle reproductible à l’infini. Avec son beau-père, le fabricant d’estampes et de gravures Goupil, il développa un fructueux commerce de reproductions qui permit à la bourgeoisie de l’époque, en France et à l’étranger, d’accrocher du « grand art » dans son salon (et sans doute au-dessus du lit pour les scènes orientales les plus lascives).

Succès immense de son vivant, mépris après sa mort. Gérôme, qui ne se priva pas de critiquer vertement l’art de Manet et celui des Impressionistes, a longtemps eu chez nous mauvaise presse. Académisme, style « pompier », précision stérile dans la reproduction des détails, non respect de la rigueur archéologique, indécence, mauvais goût, tout et son inverse lui furent reprochés. Ses tableaux partirent de ce fait les uns après les autres aux Etats-Unis, où les milliardaires l’adorent. L’exposition d’Orsay a d’ailleurs été montée en premier à Los Angeles. Ce qui étonne encore moins quand on sait que les tableaux de Gérôme ont été fidèlement repris pour des décors de péplums, notamment le premier « Quo vadis ? ». On dit même que c’est en regardant les toiles de Gérôme que Ridley Scott eût l’idée de faire Gladiator…

Musée d’Orsay, de 9h30 à 18h le mardi, le mercredi, le vendredi, le samedi et le dimanche, de 9h30 à 21h45 le jeudi. Fermé lundis et jours fériés.

Renseignements www.musee-orsay.fr

JEF pour CitéGAY ( http://jefopera.blogspot.com/ )




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