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A Paris, un bar gay en résistance face à la gentrification du Marais

En 2008, il y a eu l’Amnésia, puis le Central, l’Oiseau bariolé et le Keller deux ans plus tard, ou encore le Spyce l’an passé. Dans le IVe arrondissement de Paris, entre l’hôtel de ville et le métro Saint-Paul, les rues du Temple et vieille du Temple, bref en plein cour du Marais, les bars gays et autres établissements communautaires comme la librairie Agora presse ont tour à tour fermé leurs portes, remplacés par des boutiques de luxe et des enseignes de prêt-à-porter. Tout cela en une petite dizaine d’années.

A l’angle de la rue des Archives et de la rue Sainte-Croix-de la-Bretonnerie, avec sa devanture grise souris et sa terrasse ouverte, l’Open café, 23 salariés, a (pour l’instant) été épargné par le rouleau compresseur de la gentrification. Mais pour combien de temps ? Le propriétaire des murs, Bernard Bousset, une figure historique de la cause gay et de la lutte contre le sida, n’est pas très optimiste. «Je résiste en restant à ma place, mais ça ne va pas durer car j’ai 75 ans et il faut que j’en profite», admet-il tout en s’étonnant qu’on s’intéresse à son cas de «dinosaure».

Esprit d’entreprise

Le septuagénaire, aux faux airs de Salvador Allende, accueille dans son bureau à moquette situé à l’étage de l’établissement sous une toile représentant un garçon nu aux prises avec un fauve. C’est un entrepreneur : sans avoir obtenu le bac et après avoir fait affaire dans le prêt-à-porter à Saint-Tropez dans les années 60 [les boutiques Machin, ndlr], puis géré le personnel du Club Med et le sauna IDM dans le IXe arrondissement «à côté du Palace», il ouvre en 1987 le Quetzal, un bar gay rue de la Verrerie. «La distribution de préservatifs était considérée comme de la débauche [jusqu’à une circulaire de 1992, la mise à disposition des capotes dans les établissements gays n’était pas autorisée sous peine d’être verbalisé, ndlr]. J’ai donc vendu l’IDM pour des commerces plus soft», se souvient ce businessman averti.

«C’est moi qui ai lancé le Marais ! se vante-t-il. Le commerce gay était en pleine expansion après l’arrivée de la gauche au pouvoir.» Dans les années 80, les gays parisiens désertent en effet progressivement Saint-Germain-des-Prés, la rue Saint-Anne et les Halles pour leur préférer le Marais, populaire et bon marché. «Quand j’ai acheté les murs, le quartier ne valait rien. Mais même à l’époque personne n’en voulait. Aujourd’hui, c’est dix fois plus cher. Le dépôt de carton est devenu The Kooples, la petite agence de voyage une boutique Galliano, etc.», raconte Bernard Bousset.

«Le Marais est un combat perdu»

Animé par l’esprit d’entreprise, le Landais, né à Dax, acquiert alors un nouveau fonds de commerce en 1995, l’Open bar, qu’il transforme en bar totalement homo ouvert sur la rue, puis cinq plus tard rachète un coffee-shop de la rue du Temple devenu le Raidd bar. «Avant pour rentrer dans un bar gay, il y avait un judas, jamais de terrasse, rappelle-t-il. On était souvent menacés de fermeture administrative. Les associations de riverains souhaitaient nous chasser, la police ne voulait pas de nous et venait nous donner des amendes. Mais c’était passionnant d’affirmer notre identité.»

Vingt-cinq ans plus tard, Bernard Bousset n’a plus la même énergie. Après avoir lutté contre le sida, cofondé le Syndicat national des entreprises gays (Sneg) en 1990, s’être battu contre le harcèlement policier, avoir connu les heures de gloire de la visibilité homosexuelle dans le quartier, ce militant de la cause estime aujourd’hui que «le Marais est un combat perdu». «Les commerces, et les bars gays, sont voués à disparaître et il n’y a plus de combats : on est anesthésiés», reconnaît-il, défait et plein de nostalgie. En cause ? La spéculation immobilière mais aussi «l’individualisme» et une clientèle homosexuelle fidèle mais de plus en plus vieillissante. «Les fonds d’investissement cherchent à racheter les murs. La pression est énorme à tel point j’en ai fait un burn-out, confie encore le patron de l’Open café. A un moment, c’était des coups de fil tous les jours et des visites d’investisseurs deux fois par semaine qui nous proposaient des sommes pas possibles. C’est difficile de dire non dans ce contexte mais pour l’instant je ne suis pas vendeur.»

«Avec la gauche, on n’a pas été gâté»

Les pouvoirs publics peuvent-ils encore faire quelque chose pour sauver l’identité du quartier ? A cette question, cette figure locale n’est pas dupe de l’impuissance municipale. «Le maire d’arrondissement [Christophe Girard, édile PS, ndlr] se préoccupe de l’évolution du quartier, mais qu’est ce que vous voulez qu’il fasse ? Il ne va pas préempter des baux commerciaux !» souffle-t-il. Pour autant, pas de fatalisme : «Même s’il n’y a plus besoin d’aller dans un bar gay pour tirer un coup, le quartier va renaître ailleurs et d’une autre façon.» Voici que son smartphone vibre. Une fois, deux fois. Ce sont des alertes d’un quotidien au sujet de Benoît Hamon, en pleine conférence de presse pour présenter son programme présidentiel. Bernard Bousset s’interrompt et interroge, avec une pointe d’ironie : «Vous êtes pour le revenu universel, vous ?»

Logiquement, il en vient à l’élection. «Comme beaucoup de Français», cet (ancien ?) électeur socialiste a du mal à cacher son embarras. «Avec la gauche, ces dernières années on n’a pas été gâté», regrette-t-il, tout en concédant «une admiration» pour François Mitterrand, «le seul qui a changé les choses». «On a même déjeuné ensemble une fois», s’enorgueillit-il. Le voilà qui fouille sur une étagère pour montrer un souvenir. «Qui m’a piqué ma photo dédicacée avec Mitterrand ?» lance-t-il, enjoué, à deux employés qui écoutaient depuis l’autre bout de la pièce. Il reprend, et développe : «La gauche n’a rien fait. Quand on regarde les programmes, les PME sont celles qui payent toujours plus. On a été assommés par toutes les nouvelles taxes, écrasés de charges nouvelles, et ce malgré le CICE. La ville a aussi instauré une taxe chauffage/terrasse, des choses normales comme les mutuelles et des taxes sur l’alcool, cela fait bien plus que les gains du CICE !»

Au point de regretter son bulletin Bertrand Delanoë en 2001. «Ce n’est pas parce qu’il est gay qu’on a été favorisé», admet encore le commerçant. Certes son chiffre d’affaires est encore stable, mais les résultats ne le sont plus. «En quelques années les bénéfices ont été divisés par 10 à cause des charges», insiste Bernard Bousset. Le 23 avril, il sera en voyage et votera sûrement «par procuration».

Source : Libé

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