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En Ouganda, une Gay Pride espérée malgré  »toutes les raisons d’être traumatisés »

En Ouganda, une Gay Pride espérée malgré «toutes les raisons d’être traumatisés»
Dans une petite cour de Kawaala, un quartier pauvre de la capitale Kampala, Rihana et son amie Iron louent une petite pièce surplombée d’un toit de tôle. Rihana était un jeune homme de 16 ans lorsqu’elle a «réalisé qu’elle était une femme trans». Elle a désormais 24 ans. Chassée par sa famille, «qui n’a jamais accepté ce qu’elle était», sans travail, elle est l’une des membres les plus connus du mouvement LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) ougandais. Samedi, sauf menace de répression, elle sera en tête de l’édition 2016 d’une Gay Pride qui devait avoir lieu en août. «Nous sommes systématiquement stigmatisés, explique-t-elle. Il y a beaucoup de choses auxquelles tu ne peux pas accéder, notamment lorsqu’il s’agit d’un emploi.»

«Prison à vie»
Travail, famille, santé, éducation. sauf à prendre le risque d’être exclu de toute vie sociale, mieux vaut cacher sa différence sexuelle en Ouganda. Rihana, fine et élancée, se sent mal à l’aise dans ses vêtements «trop masculins» à son goût. Mais impossible de faire autrement. Même dans son quartier, elle ne peut afficher son identité féminine : «Tu ne peux même pas aller à côté de chez toi pour trouver quelque chose à manger. Il faut toujours cacher ce que tu es.»

Le 4 août, Rihana était candidate à l’élection de «Mr, Mrs, and Mx Pride», organisée dans une boîte de Kampala. Une soirée interrompue par une descente de police particulièrement musclée. Plus de 20 personnes ont été embarquées, dont les principaux leaders de la communauté. Rihana, qui en fait partie, a été retenue quelques heures avant d’être relâchée. L’assaut met fin à ses espoirs, ceux «d’une cinquième Gay Pride», prévue quelques jours plus tard.

Révérend et ministre de l’Ethique, Simon Lokodo se dit alors prêt à organiser une contre-manifestation. Devant les risques d’affrontements, il est décidé de reporter la parade en septembre.

«Ces discriminations et harcèlements ont toujours existé. Les relations sexuelles entre individus du même sexe sont passibles de prison à vie, rappelle Nicholas Opiyo, un des rares avocats qui accepte de défendre le mouvement. Une étude récente montre que 96 % des gens estiment que les LGBT n’ont pas leur place en Ouganda.» Une homophobie qui a connu un pic en 2014 lorsque le pays a adopté une loi ordonnant à tout Ougandais de dénoncer les homosexuels et ceux qui font la promotion de l’homosexualité. Montrée du doigt par la communauté internationale, elle est invalidée par la Haute Cour ougandaise six mois après sa promulgation, obligeant le gouvernement à faire marche arrière.

«Mais depuis, le mouvement LGBT est vu comme celui qui a attiré les critiques de la communauté internationale et provoqué la suspension de l’aide financière américaine en faveur du pays, rappelle Opiyo. Tout ceci s’est traduit par un regain de violence à l’endroit des membres de LGBT.» Depuis, les fondamentalistes chrétiens, farouches partisans de cette loi, font pression pour que la mesure soit de nouveau promulguée. A Kampala et ailleurs, la tension entre «communautés» est telle qu’il est pratiquement impossible d’organiser la moindre manifestation de fierté gay.

Outing
Ambrosse, la trentaine, est journaliste pour Bombastic, une revue ougandaise militant pour la défense des LGBT. Il dénonce les outing pratiqués par certains tabloïds en une, photo à l’appui. Et raconte avoir enduré deux agressions, dont l’une par un moto-taxi qui aurait tenté de l’étrangler. Cela ne l’a pas dissuadé de participer à l’organisation des premières parades. «On expliquait aux policiers, par exemple, que nous allions fêter un anniversaire», se souvient-il. Difficile d’utiliser de nouveau ce genre de stratagèmes aujourd’hui. La question est désormais autant politique que diplomatique. La Gay Pride 2016 prévue pour samedi était encore en sursis jeudi. Le ministre de l’Ethique continue de dénoncer «les activités illégales et criminelles du mouvement LGBT» et demande l’arrestation des organisateurs. Et le feu vert de la police pour la marche se fait attendre. Si certains leaders du mouvement LGBT gardent espoir avant la décision officielle, d’autres appellent d’ores et déjà à se rendre au rassemblement.

En attendant, Rihana a déjà choisi ses chaussures à talons et sa robe. Pour éviter de se faire agresser, ses copines et elle prendront un taxi samedi. «Nous devons nous rendre à la marche car nous sommes très fières de ce que nous sommes, dit-elle avec assurance. Nous avons toutes les raisons d’être traumatisées mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas nous réjouir et célébrer notre fierté.»

Source : Libération




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