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 »J’suis pas pédé ! » : de la pseudo virilité à l’homophobie latente, il n’y a qu’un pas

Deux hommes qui se tiennent la main en public passeront plus facilement pour un couple homosexuel que deux femmes dans la même posture. Une distinction nourrie par les stéréotypes d’une société qui valorise le « sexe fort » et la masculinité, estime notre chroniqueur David Courbet, auteur de « Féminismes et pornographie » (Ed.La Musardine).

« Me touche pas, j’suis pas pédé ! ». Combien de fois avez-vous entendu cette sentence qui, lors d’une tension entre deux hommes, peut apparaître comme un avertissement verbal avant une éventuelle agression physique ou à l’inverse, après un moment de rigolade, tombe tel un couperet invitant à mettre fin au jeu ?

Ce n’est pas toujours visible

Dans une société vantant la performance et faisant du culte de l’homme fort et infaillible la finalité de toute masculinité, le soi-disant « sexe fort » hétérosexuel se doit d’apporter sa contribution à l’édification du mur invisible mais socialement bien présent qui délimite masculinité et homosexualité. Car dans ce registre, l’ambiguïté, même fictive, reste beaucoup moins admise que pour les femmes.

La confusion amitié/homosexualité apparaît d’autant plus forte que l’autre gars a une « apparence efféminée ». Sauf que ce concept n’a pas de sens, efféminée ne voulant pas dire gay, tout comme il y a des mecs ultra costauds qui sont homosexuels ou des filles en baggy aux cheveux courts qui n’aiment que les hommes.

Ces stéréotypes, difficiles à abattre, sont toujours accolés à l’imaginaire autour de l’homosexualité : celle-ci PEUT être visible mais ce n’est pas automatique.

L’un des exemples les plus probants peut se trouver dans la lecture de l’édifiant « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis. Dans le roman, c’est finalement l’entourage qui décide que le jeune est homo, vu qu’il a une voix haut perchée et qu’il n’aime pas le foot. Et lui, simple ado, se pose des questions. Et se demande s’ils n’ont pas, au fond, raison.

Les ragots vont bon train dès qu’il s’agit de parler de la sexualité de tel homme ou de telle femme. Sauf qu’à la traditionnelle inégalité des conquêtes en fonction de son sexe – salopes vs Don Juan – s’ajoute le questionnement sur l’orientation sexuelle.

Et sur ce terrain, les hommes en pâtissent davantage que les femmes car la « suspicion » de certains reste omniprésente. Jusqu’à ce qu’un coming-out officiel brise enfin le tabou et permette alors de se décharger d’un poids qui peut paraître parfois très pesant.

La « chasse à l’homme gay »

S’il existe une inégalité entre les sexes, elle est également liée à la difficile reconnaissance sociale de l’homosexualité féminine, beaucoup plus tardive que masculine. Alors que deux hommes qui se tiennent la main dans la rue ne feront pas de doute sur leur orientation sexuelle aux yeux de tous (à tord ?), il n’en va pas de même pour deux femmes.

La question se posera ici pour beaucoup de savoir si elles forment un couple ou si elles sont tout simplement copines/mère-fille. Moins stigmatisées que leurs homologues masculins, elles subiront le syndrome de la « lesbienne invisible » dans cette société freudienne où le pénis reste toujours roi.

L’homme sera ainsi davantage jugé à son comportement, ses mimiques : qu’elles soient un tant soit peu tangentes, il se verra de suite accolé au front l’étiquette de « gay ». Au point qu’un tel phénomène peut s’apparenter parfois à une véritable « chasse à l’homme gay ». Oh, rien de physique là-dedans (quoi que), mais juste le triste besoin de certains de vouloir à tout prix cataloguer, ranger dans une case, comme si on voulait se rassurer de savoir que notre voisin n’a pas la même sexualité que nous.

Qu’est ce qu’on en a à foutre que notre collègue de boulot soit homo ou pas ? Cela nous empêche de travailler ? Nous gêne dans nos tâches quotidiennes ?

Le problème ici, c’est qu’il ne s’agit pas d’une véritable homophobie frontale, viscérale, mais latente. On s’amuse de l’homosexuel, on fait des blagues sur lui – parfois même avec lui – sans vraiment lui vouloir du mal, sans se rendre compte des conséquences : que cela peut justement faire mal.

La peur de la contagion

Même si on sait qu’il ne s’agit pas d’une maladie, on s’en méfie tout de même. Mon expérience à ce sujet dans les vestiaires de la salle de gym me paraît un bon exemple.

Bien qu’il s’agisse d’un vestiaire non-mixte, il semble inopportun pour beaucoup de se trimballer à poil. Paradoxe du lieu où le culte du corps est omniprésent, où chacun tente de se mettre le plus en avant possible et où le but est de montrer qui a les plus gros bras. Mais la gêne apparaît dès que la serviette tombe. C’est un choix, tout le monde n’a pas le même rapport avec sa nudité et son intimité. Mais de là à vouloir imposer les siens à autrui, c’est liberticide et parfois à la limite de l’homophobie justement.

    « Merci de mettre une serviette la prochaine fois », m’apostrophe un homme dans le sauna (non-mixte je rappelle). « Et si j’étais une femme, cela vous dérangerait autant ? », lui rétorquais-je. Silence. Deux minutes plus tard, cherchant un autre argument, il lâche : « c’est aussi une question d’hygiène ». Hum hum, « si cela peut vous rassurer, la douche étant obligatoire, mes couilles sont plus propres que votre caleçon rempli de bactéries ! ». Re-silence, grommellements et départ de l’homme en question de la cabine.

Cette situation s’est répétée maintes fois, comme s’il subsistait une méfiance vis-à-vis d’un homme nu dans un périmètre proche du sien. Une peur irrationnelle. Celle de se faire violer dans une cabine de sauna ? D’apercevoir le même bout de peau que moi qui pend entre les cuisses de mon voisin ?

Avant de voir, qui plus est dans un tel endroit sombre, il faut déjà vouloir regarder. A moins qu’il ne s’agisse de cette ambivalence du désir de comparer associée à la culpabilité de le faire, cette pulsion de l’eros et du tetanos freudien. Car dans une vision masculine bien hétéronormée, voir le sexe d’un autre homme relève de l’anormalité, le seul sexe visible doit être celui d’une femme. Point.

« J’ai rien contre les homos, mais. »

La mode veut que l’on joue avec son corps. Vous avez ici deux modèles :

– l’un se voulant très viril, se dénudant volontiers pour montrer la bête qui est en soi. Le meilleur exemple : Vladimir Poutine qui, peur de rien, pourrait affronter un ours à mains nus après avoir pris un bain dans l’eau gelée de la Volga
– Le second est un métrosexuel et aime jouer avec les codes. Propre sur lui, stylé, la peau pratiquement glabre. Son représentant : Cristiano Ronaldo (ou David Beckham pour la génération d’avant).

Dans ces deux cas, quelque peu opposés d’ailleurs, n’allez pas leur dire qu’ils sont homos ! On veut bien jouer sur notre représentation mais pas question d’aller trop loin.

Un peu comme votre pote avec qui vous rigolez de votre promiscuité, en vous faisant de grandes tapes dans le dos, la bise voire éventuellement des câlins. Mais hors de question d’aller plus loin, même pour rire ! S’amuser à faire des olives ou des bifles ? Aucun souci ! Mais mettre la main au cul ou sur la cuisse, même en absence totale d’ambigüité, ça ne passe plus.

La gêne est alors proche. « J’ai rien contre les homos, mais faudrait pas laisser penser qu’on en est aussi. ».

Reconnaissance sociale

Outre la bise, de plus en plus courante entre deux hommes, le langage pourrait pourtant parfois porter à confusion. Ponctuer ses phrases, ses textos ou ses mails à destination d’un ami avec « à bientôt ma poule », « ma biche » ou d’un « ma ptite beauté », s’avère très fréquent. Mais n’allez surtout pas dire à Hanouna qu’il est gay !

C’est tout de même cocasse que les marques d’affection jouant sur le genre et l’orientation sexuelle soient si nombreuses alors qu’on s’horrifie dès que quelqu’un ose penser que l’on puisse être attiré par une personne du même sexe.

Comment voulez-vous dans ce cas qu’une personne homosexuelle se sente totalement à l’aise dans ce cadre du jugement permanent ?

Si la reconnaissance sociale des homos (davantage des gays que des lesbiennes) semble avoir fortement progressé depuis les dernières décennies, il n’en est donc pas de même avec les mentalités autour de « l’imagerie du gay ».

Une nécessaire évolution doit ainsi se produire permettant alors une plus forte tolérance aux différentes orientations sexuelles. Ce n’est qu’alors que les ambigüités récurrentes sur la délimitation délicate amitié/homosexualité disparaîtront. Et peut-être qu’enfin chacun de nous acceptera la part d’homosexualité qui sommeille en nous.

Source : NouvelObs




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