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Egypte : les archaïques méthodes de «détection» des homosexuels

Le 15 février, veille de la vente des 24 avions Rafale (entre autres) de la France à l’Egypte, un jeune Egyptien tentait de se suicider en s’immolant par le feu. L’individu faisait partie des 26 personnes arrêtées par la police (et acquittées depuis, le 12 janvier) lors de la rafle, fin 2014, dans un hammam du Caire soupçonné d’être un lieu de rencontre homosexuelles.

L’opération policière avait été orchestrée par Mona Iraqi, une «journaliste» de la chaîne de télévision privée Al Kahera Wal Nas, et entendait démontrer l’action du régime ultra-conservateur à la tête du pays. Si l’homosexualité n’est théoriquement pas illégale en Egypte – la plupart des prévenus de cette affaire étaient ainsi accusés de «débauche et d’attentat à la pudeur» – plusieurs condamnations visant des gays ont été prononcées ces dernières années.

Ce dramatique rebondissement est intervenu quelques heures avant la publication d’une enquête de Buzzfeed sur les étranges méthodes de «détection» de l’homosexualité des médecins égyptiens chargés d’examiner les hommes arrêtés. Pour «distinguer» un homosexuel, le docteur Maged Louis indique par exemple, et le plus sérieusement du monde, que «la forme de l’anus va changer, devenant anormale et similaire à celle d’un vagin». Ce directeur adjoint de l’autorité médico-légale liée au ministère de la Justice livre d’autres observations physiologiques saugrenues, et se justifie en déclarant : «Tout ce que je dis relève de la science et est écrit dans des livres, les médecins du monde entier le savent bien.»

L’un des ouvrages en question, cité par le prédécesseur de Maged Louis dans une interview de 2003 à Human Rights Watch, vient d’ailleurs de France. Publiée pour la première fois en 1857, cette Étude médico-légale sur les attentats aux mours est signée Auguste Ambroise Tardieu, homophobe notoire capable d’écrire «scientifiquement» les insanités ci-dessous présentées comme signes tangibles d’homosexualité :

Juste après cet hallucinant passage, il poursuit : «Un trait non moins caractéristique, et que j’ai observé cent fois, c’est le contraste de cette fausse élégance et de ce culte extérieur de la personne avec une malpropreté sordide qui suffirait à elle seule pour éloigner de ces misérables.» La troisième édition de son étude parue en 1859 (et dont la Bibliothèque nationale de France propose une archive en ligne) se penche longuement sur les supposées caractéristiques anales des homosexuels, non sans avoir livré au préalable cette puissante remarque :

Tardieu n’est bien sûr pas la seule «source» des médecins égyptiens, mais les propos relevés par Buzzfeed au Caire attestent bien d’une vision aussi rétrograde que médicalement incorrecte sur la question, allégrement contredite dans l’article par des experts occidentaux interrogés et assez stupéfaits. Paradoxalement, et malgré la violence des tests infligés par les médecins missionnés par l’Etat, certains accusés égyptiens (et leurs avocats) restent malgré tout persuadés du bien-fondé de ces méthodes d’un autre âge.

Mohamed Abo Zakry est un des avocats de la défense dans l’affaire de la rafle du hammam représentant 7 des prévenus. Interrogé par Buzzfeed peu avant l’acquittement de ses clients, il déclarait : «On ne peut pas dire que ces examens sont incorrects. Ils sont corrects. N’importe quel docteur expérimenté peut clairement dire si un homme est gay ou pas.»

Depuis l’arrivée à la présidence de Abdel Fattah al-Sissi en mai 2014, le climat anti-gay en Egypte s’est accru, et au moins 150 personnes soupçonnées d’être homosexuelles ont été arrêtées dans le pays en 2014. Si le récent acquittement dans l’affaire du hammam a été perçu par beaucoup comme une avancée, personne n’est dupe. Interrogée par l’AFP en janvier dernier, Bouthaina Halim, lesbienne de 34 ans, déclarait que la décision de la justice n’était pas «une victoire pour la liberté de choix de l’orientation sexuelle, que l’Etat et les médias continueront de criminaliser et de persécuter».

Source : Libération




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