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La question homosexuelle en Afrique

Alors que le Cameroun a connu ces derniers mois des campagnes homophobes dans la presse et que le sujet de l’homoseualité, au-delà de ce seul pays, demeure sur le continent africain source de violences avec la complicité directe ou indirecte des autorités politiques, civiles et religieuses, un ouvrage, écrit par un camerounais, tente de l’intérieur de dépeindre une communauté LGBT en Afrique.

Charles Gueboguo, auteur du livre La question homosexuelle en Afrique qui vient de paraître chez l’Harmatan, prépare actuellement une thèse en sociologie sur la construction de l’identité homosexuelle au Cameroun, à l’université de Yaoundé I.

Charles Gueboguo a répondu aux questions de WARNING, l’association de lutte contre le VIH.

Bonjour Charles, votre livre, La question homosexuelle en Afrique, vient de paraître en France chez l’Harmattan : pouvez-vous nous en faire l’économie ?
Charles GUEBOGUO : Merci de l’opportunité que vous m’accorder de le faire. La question homosexuelle en Afrique est le résultat d’une recherche de terrain que j’ai faite au Cameroun dans les villes de Yaoundé et de Douala auprès d’hommes et de quelques femmes homosexuelles. Il s’agissait de comprendre pourquoi, malgré la stigmatisation et le déni de l’homosexualité dans la société, la réalité homosexuelle se faisait de plus en plus visible. L’approche, pour apporter des éléments de réponse à cette préoccupation de base, est sociologique. Cela, à cause de ma formation.

Quelle est donc la spécificité de votre démarche ?
Charles GUEBOGUO : La spécificité de ma démarche peut être saisie sous plusieurs angles : il s’agit, au Cameroun et dans une certaine mesure en Afrique francophone, d’une étude sociologique pionnière qui questionne l’homosexualité sans verser dans les préjugés. Ensuite, l’histoire de l’homosexualité en Afrique y est aussi examinée, ce qui nous a permis de déconstruire le mythe d’une absence de l’homosexualité en Afrique ; avec la précision suivante : si dans certaines régions d’Afrique il n’existe pas de lexème pour désigner l’homosexualité cela ne permet pas de postuler pour l’absence de l’homosexualité, mais est utile pour préciser que dans certaines régions africaines l’homosexualité n’était pas modélisée. Nous avons pu d’ailleurs montrer qu’au Cameroun, entre autres, il existait des rites initiatiques où des pratiques homosexuelles entre femmes ont été observées (le Mevungu). Toutefois nous sommes parvenus au constat selon lequel il n’existait pas de continuum entre ce qui se passait dans les faits historiques que nous avons recensés et la pratique homosexuelle telle qu’elle est vécue dans l’Afrique contemporaine.

Comment l’homosexualité est-elle vécue en Afrique contemporaine ?
Charles GUEBOGUO : Après les enquêtes qui ont duré près de deux ans, nous avons constaté que l’homosexualité telle que vécue dans les deux grandes villes du Cameroun se manifestait par une visibilité de plus en plus marquée, ce que nous avons appelé «visibilisation», pour indiquer un processus en cours et pas tout à fait établis. Des lieux de rencontre étaient mobilisés dans les bistrots, les boîtes de nuit, les restaurants ou cafés pour en faire ce que nous avons appelé des «small g» (g en miniature) à la suite de la romancière Patricia Highsmith, qui désigne des lieux fréquentés par des homosexuel/les mais pas de manière exclusive. Ensuite une sous-culture gaie est en construction avec des codes gestuels et langagiers de reconnaissance et d’auto identification. Comme exemple, les homosexuels dans les deux grandes villes se désignent par le néologisme «Nkouandengué» néologisme que nous avons essayé de décrypter. Il y a également des regroupements plus ou moins formels à caractère associatif ou semi associatif pour une certaine reconnaissance publique.

Avez-vous fait allusion au scandale des listes du Top 50 orchestré par certaines presses locales ?
Charles GUEBOGUO : Non. Le livre était déjà sous presse. Toutefois j’ai commis des articles où j’ai fait une analyse de cette situation déshonorante et honteuse pour l’image de mon pays. Ils paraîtront dans la revue africaine Terroirs (en octobre 2006) et dans le N° 20 de la revue de culture et de développement de la diaspora africaine : L’arbre à Palarbres.

Comment pensez-vous que le livre sera accueilli dans votre pays, voire en Afrique ?
Charles GUEBOGUO : Je ne m’attends à rien de bon venant de ce côté-là. Vue le climat homophobe patenté qui règne actuellement au Cameroun j’ai choisi de ne pas y faire une dédicace et de ne pas en parler. C’est pour des raisons de sécurité, car au Cameroun il ne fait pas bon d’être homosexuel, gayfriendly ou de s’interroger sans jugement de valeur sur l’homosexualité, même d’un point de vue scientifique.

Mais pourquoi avoir choisi malgré cette situation homophobe dont vous faites allusion de travailler sur l’homosexualité, d’ailleurs le sujet de votre thèse ne porte-t-il pas sur la construction de l’identité homosexuelle en Afrique ?
Charles GUEBOGUO : En tant que sociologue, j’ai l’avantage de pouvoir m’interroger sur tout, de pouvoir tout questionner avec les armes que me fournit ma science. L’homosexualité est une réalité sociale vécue en Afrique, qu’on soit pour ou contre, il est donc normal qu’on la questionne pour en relever les non dits de ses manifestations et pour rendre la réalité socio sexuelle telle qu’elle est vécue par les sujets et par les alter ego. Ce n’est pas parce que je vis dans une société qui refuse d’assumer les divergences sexuelles des atomes qui participent de sa composition que je dois renoncer à me questionner, en tant que homme de science, sur ces choses qui dérangent justement !

C’est peut être tôt de vous le demander, puisque le livre est à peine sorti, pensez-vous déjà à une autre publication ?
Charles GUEBOGUO : (Sourire !) J’ai la boulimie de l’écriture, cela m’aide à m’améliorer car je suis entrain de construire ma personnalité en tant que homme de science. Pour revenir à votre question, j’ai un manuscrit qui est prêt et je suis à la recherche d’un éditeur. Il s’agit d’une enquête sociologique sur les communications préventives contre le VIH/sida en Afrique et leur rapport avec l’homosexualité.

Encore l’homosexualité ?
Charles GUEBOGUO : Que voulez-vous, j’ai fait des recherches sur l’homosexualité ma spécialité en tant que sociologue, et puis j’aimerais bien que soient développées en Afrique francophone des Gays and Lesbians Studies comme c’est le cas aux USA. Si je fais partie des pionniers ce serait une grande opportunité pour moi.

Revenons un peu sur le VIH/Sida et le rapport à l’homosexualité au Cameroun dont vous venez de faire allusion.
Charles GUEBOGUO : Quand on parle de prévention contre le VIH/Sida au Cameroun, on ne fait presque jamais officiellement aux catégories homosexuelles qui sont pensées comme inexistantes. Toutes les communications qui portent par exemple sur la prévention sexuelle sont hétérocentrées, partant du principe contestable, que les infections à VIH sur le continent sont à 90%, sur le plan sexuel, à caractère hétérosexuel. C’est oublier la complexité de cette société qui fait en sorte que les gens sont obligés de vivre leur homosexualité de façon bisexualisé. C’est qui me fait dire que l’homosexualité, dans les pays africains qui la prohibent, est «bisexualisée». Cette situation provoque un croisement de cursus sexuels entre hétérosexualité et homosexualité qui reste un danger et creuset décuplé de nouvelles infections. J’ai par exemple constaté que plusieurs MSM au Cameroun ne savait pas qu’il y avait des risques d’être infecté au VIH lors d’un rapport anal sans protection ou alors au cours d’une fellation. En outre, parmi les jeunes, toute orientation sexuelle confondue, il y a une forte tendance à ne pas se protéger au cours des rapports sexuels, ce qui est traduit comme un gage de confiance et de fidélité entre les partenaires. Cependant qui peut répondre de la fidélité de l’un quand il est avec le partenaire de l’autre sexe tandis que le compagnon du même sexe est provisoirement délaissé pour les besoins de redorer l’image social ? N’est-il pas courant d’entendre auprès des jeunes gais à Yaoundé qu’un «vrai nkouandengué doit avoir quatre animaux : un Tigre au lit, un Jaguar au garage, un Vison au placard et un Didon pour payer la farce !», tandis que les jeunes filles hétérosexuelles disent qu’«une fille doit toujours avoir au moins trois compagnons : le Chic, le Chèque et le Choc !» Essayer de décrypter vous-même car c’est facile. On peut résumer en disant que pour les uns comme pour les autres rester fidèle à un compagnon est perçu comme arriéré. Le problème est surtout que si celui des partenaires qui est détenteur de capitaux (le Dindon ou le Chèque) choisit de ne pas souvent se protéger lors des rapports sexuels, il parvient à ses fins puisque avec son argent, dans le lien ainsi établi, il est en position de force donc de domination. Vous comprendrez donc l’urgence d’adresser directement aussi les catégories homosexuelles, au nom du droit à l’information réelle

Qu’en est-il du mouvement associatif ?
Charles GUEBOGUO : Face à cette situation de discrimination et de stigmatisation généralisée, il y a des associations (deux à ma connaissance) qui sont montées sur le devant de la scène pour crier leur désaccord face à une société qui met en danger ses enfants en les réduisant à vivre dans la clandestinité pour certains, ou dans une impossibilité d’avoir accès aux soins anti-rétroviraux quand ils sont infectés par le VIH de peur de stigmatisation, pour d’autres. Toutefois il me semble aussi qu’à travers le pays il y a des regroupements informels des personnes ayant pour but de se soutenir mais surtout de faire la fête entre, ce que j’appelle, «semblables-identiques» c’est-à-dire des sujets issus d’un même milieu géographique, culturel et parfois ethnique (les semblables) et qui ont aussi en commun une orientation homosexuelle qui est perçue et vécue comme identitaire dans les réseaux de rencontre (d’où l’identique, parce que derrière cela se cache l’expression d’une identité sexuelle qu’on assume dans les sphères privés des réseaux)

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Charles GUEBOGUO : Bah ! Je serais heureux qu’un grand nombre de personnes puissent prendre connaissance de ce travail. Il est loin d’être parfait, aussi, les remarques et critiques de tous genres seraient les bienvenues. Cela me permettra d’améliorer le tir par la suite. J’espère aussi que ce livre fera avancer les mentalités de ceux qui restent persuader que l’homosexualité n’existe pas en Afrique ou alors qu’elle aurait été importée de l’Occident pour nous pervertir, nous, «pauvres et valeureux Africains !» Enfin j’espère qu’elle favorisera l’acceptation de la différence des uns et des autres dans le respect mutuel, car je suis convaincu que l’orientation sexuelle, quelle qu’elle soit, n’est pas une panacée. Ce qui à mon sens devrait faire la fierté des Africains, c’est leur capacité à respecter la res publica (la chose publique) pour notre développement (capacité qui se fait toujours attendre), et non pas le fait de nier la réalité homosexuelle qui fait partie de notre historicité et qu’on doit aussi assumer comme tout le reste.

EN SAVOIR PLUS

Référence : LA QUESTION HOMOSEXUELLE EN AFRIQUE, Paris, L’Harmattan, Coll., «Etudes Africaines», octobre 2006, 190P. 17 Euros. Il est en vente pour le moment à la librairie de l’Harmatan à paris, 16, rue des Ecoles.

Le site de l’association WARNING : http://www.thewarning.info





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